L'enquête de l'association algérienne de recherches économiques et sociales (AARDES) de 1976 sur les migrations pouvait établir que 12% des populations constantinoises enquêtées avaient une présence sur le site sur trois générations, et l'intérêt de ces chiffres prend du relief en le croisant notamment avec le solde migratoire négatif, résultant, d'une part, d'une forte mobilité des élites citadines et, d'autre part, de l'extinction de l'importante communauté juive constantinoise. Cette dynamique démographique – avec ses attendus politiques, culturels- allait aussi à la rencontre des extensions de l'assiette urbaine constantinoise déjà engagée à la fin de l'ère coloniale, et il est remarquable que dès la fin des années 1960, Constantine ait fait déjà l'objet d'études et de projections urbanistiques –celles du BNERU- avant la formalisation, dans les années 1970, du plan CADAT, longtemps référence obligée pour les institutions locales ou centrales intéressées aux mutations de la ville. Il est alors notable que ces évolutions –démographiques, sociales, culturelles et aussi de l'expertise urbanistique– démarquent la démarche politique du pouvoir central, soucieux de réduire, notamment au travers des différents découpages territoriaux, la place et l'influence d'une cité longtemps intellectuellement foisonnante et artificiellement assignée à l'ordre religieux. Aujourd'hui encore, et alors que l'archaïsme du système autoritaire est généralement reconnu comme l'un des facteurs de blocage de l'ensemble de la société algérienne, placer les enjeux de la modernisation –nécessaire et par ailleurs à l'œuvre dans la reconfiguration métropolitaine de Constantine- sous l'autorité formelle du président de la République contraint politiquement les institutions et les acteurs. En est-il ainsi notamment des instances locales formellement électives – inaudibles sur l'avenir de la ville- et plus généralement d'une société civile subjuguée et même –cela vaut d'être relevé- du premier responsable de l'exécutif, indûment positionné comme missi dominici d'une démarche présidentielle au détriment des charges dévolues à un wali. Au quotidien, un grand Constantine se forge pourtant hors des polémiques commodes autour de « projets structurants » dont il est légitime de craindre les stigmates durables de l'absence de concertation avec les divers secteurs de l'opinion constantinoise. Tout semble se passer comme si le décalage entre les démarches institutionnelles et le mouvement de la société se reproduisait à l'enseigne politique de gestion de la rente et de calculs de carrière. Peut-on, en effet, projeter de si vastes chantiers dits de modernisation, au prix du déficit de la modernité politique, de démocratie, en somme, et suffit-il aussi de la légitimité mémorielle pour récuser celle de l'expertise ? Constantine est en cela exemplaire tant ce débat excède les seules limites de son rocher mythique. Abdelmadjid Merdaci : Sociologue, historien, Maître de Conférences. Université Mentouri Constantine Cette rubrique est ouverte au débat sur l'avenir de Constantine. Le thème inaugural met face à face les différents points de vue sur les projets de modernisation du tissu urbain de la ville et leur conduite.