30 000 policiers antiémeute contre environ 2000 manifestants selon les estimations des organisateurs de la marche, 250 selon un communiqué du ministère de l'Intérieur. Cette marche intervient dans un contexte régional particulier, au lendemain de la démission du président égyptien, Hosni Moubarak, acculé à battre en retraite après 18 jours de contestation populaire et après la révolution du Jasmin en Tunisie qui aura été le phare qui a guidé les mouvements populaires qui ont gagné plusieurs pays arabes dans leur marche vers la démocratie et la rupture avec les systèmes politiques autocratiques en place. L'initiative avait donc valeur de test tant pour les organisateurs que pour les citoyens qui partagent les mots d'ordre retenus par la CNCD mais qui demeurent encore dans l'expectative, qui veulent en savoir plus sur ce mouvement en pleine structuration avant de s'engager. De la même façon, jamais un appel à une marche en Algérie n'avait suscité autant d'intérêt à l'étranger. Que ce soit dans les cercles officiels ou dans les médias arabes et français particulièrement, qui ont consacré avant et après la marche des éditions spéciales et leurs manchettes à l'événement. En interdisant la marche alors que les marques de soutien aux marches pacifiques des rues tunisienne et égyptienne de la part des plus grands dirigeants de la planète, à leur tête le président Obama, n'ont jamais été aussi fortes, les autorités algériennes ont joué la carte de la fermeté en dépit des pressions internationales exercées sur les régimes arabes contestés par leurs peuples pour les inciter à engager des réformes démocratiques. La marche d'hier s'est fort heureusement déroulée sans effusion de sang. Les manifestants interpellés de façon musclée, parmi lesquels on comptait des femmes, ont été relâchés dans la journée. La manifestation aurait pu prendre une autre allure, tragique. Et pourtant, tous les ingrédients étaient réunis pour que la marche dérape ; ce qui aurait donné un bel alibi au pouvoir pour légitimer la décision d'interdire les marches à Alger. Il y avait de tout au milieu des manifestants : des citoyens militants ou non des organisations politiques et de la société civile regroupées au sein du CNCD qui a appelé à la marche d'hier et qui constituaient le gros des manifestants, des mots d'ordre et une représentation islamiste en la personne de Ali Benlhadj (interpellé puis relâché par la police), des revendications identitaires, un groupe de quelques jeunes pro-Bouteflika, un cortège de jeunes qui se déplaçaient de carré en carré, vite désignés comme des provocateurs, des casseurs envoyés pour faire capoter la manifestation. Des débats chauds sont échangés entre groupes de manifestants sur les tentatives de récupération ou de sabordage de la marche. Des réflexions malencontreuses qui auraient pu dégénérer ont été entendues, comme cette femme qui apostrophait un jeune parlant au téléphone en kabyle, l'emblème national sur les épaules, le sommant d'un ton haineux de «cesser de susciter le désordre dans le pays et de rentrer dans son pays, en Kabylie (!!!)». L'homme est resté placide, détournant son regard, se refusant de répondre à la provocation. N'est-ce pas là la meilleure preuve de la maturité du peuple algérien ? C'est la première leçon qu'il convient de tirer de la marche d'hier. Maturité et civisme Les Algériens, par delà leurs opinions plurielles, leurs obédiences politiques, leurs visions différentes de l'Algérie, peuvent manifester, marcher côte à côte avec des slogans qui ne se rejoignent pas forcément, apportant ainsi la preuve, à ceux qui doutaient de leur maturité politique et de leur sens civique, qu'ils pouvaient exprimer leurs revendications dans la rue de manière pacifique, sans qu'il y ait le moindre heurt ni trouble à l'ordre public. De plus, avec le déploiement policier jamais connu dans la capitale, tout était sous contrôle. L'erreur politique, selon bon nombre d'observateurs, aura été d'avoir interdit la marche. Le fait de l'avoir réduite à un rassemblement sur la place du 1er Mai, apparemment autorisé celui-là, du moins toléré, jusqu'à un certain seuil si l'on en juge par l'attitude des forces antiémeute qui avaient visiblement reçu ordre de ne charger que si la situation devenait difficilement contrôlable, n'a en rien enlevé à l'impact de la manifestation aussi bien aux plans interne qu'externe. Les autorités algériennes n'ont rien compris ou ne veulent pas comprendre que l'on ne peut plus gouverner aujourd'hui comme hier, après les bouleversements intervenus dans la région et les aspirations démocratiques qui gagnent même les monarchies du Golfe, réputées pourtant politiquement stables. La solution policière a montré ses limites en Tunisie et en Egypte. Dans le sillage de ces deux révolutions, il ne fait aucun doute que la pression externe et interne continuera et s'accentuera dans les semaines et mois à venir sur le pouvoir, en Algérie, pour mettre à niveau le pays en termes de réformes démocratiques. Devenu récurrent, le face-à-face entre les citoyens et la police est appelé à s'exacerber et à sortir du cadre républicain si des réponses politiques ne sont pas apportées aux revendications exprimées. C'est un mauvais présage. Les arguments dont s'est nourri le pouvoir pendant des années selon lesquels les Algériens ne sont pas mûrs pour la démocratie et le multipartisme, pour l'ouverture de l'audiovisuel, pour l'émancipation politique et sociale du pays de manière générale, sont aujourd'hui battus en brèche. Aussi bien par la mobilisation populaire interne grandissante autour de ces revendications que par les leçons de démocratie qui nous viennent de l'étranger, y compris de pays fondés sur le tribalisme et dont on n'aurait jamais suspecté un quelconque désir ou aspiration démocratique.