L'accord est historique pour un contentieux tout aussi historique entre la Turquie et sa voisine l'Arménie. « C'est une avancée très, très sérieuse vers l'achèvement du processus de négociations », commente l'analyste arménien Alexander Iskandarian, après l'annonce lundi d'un accord de principe. Ankara n'entretient pas de relations diplomatiques avec Erevan depuis l'indépendance de l'Arménie en 1991, en raison de divergences sur la question des massacres d'Arméniens survenus dans l'empire ottoman entre 1915 et 1917. La Turquie a aussi fermé sa frontière avec l'Arménie en 1993 en soutien à l'Azerbaïdjan, en conflit avec Erevan pour le contrôle de la région du Nagorny Karabakh, enclave peuplée d'Arméniens en territoire azerbaïdjanais. C'est pourquoi l'annonce de l'accord est « une merveilleuse nouvelle » pour Hugh Pope, analyste de l'International Crisis Group en Turquie. « D'énormes progrès ont été réalisés, d'abord par des intellectuels et des universitaires, ensuite des chefs d'entreprises se sont impliqués et même des anciens fonctionnaires ont essayé de convaincre la Turquie d'abandonner sa vieille rhétorique nationaliste », relève M. Pope. Contentieux historique L'accord prévoit la signature de deux protocoles pour l'établissement de relations diplomatiques et le développement des relations bilatérales, à l'issue de « consultations politiques nationales » qui doivent durer six semaines jusqu'à la mi-octobre. Ces deux protocoles seront ensuite transmis aux Parlements arménien et turc qui devront les ratifier. La réouverture de la frontière devrait intervenir deux mois après l'entrée en vigueur des protocoles. Washington, Paris et l'Union européenne ont salué l'accord intervenu après une année de pourparlers en Suisse et une visite historique du président turc, Abdullah Gül, en septembre 2008 en Arménie pour assister à un match de football entre les deux pays. Toutefois, préviennent les experts, ce projet pourrait rencontrer une forte opposition dans les deux pays, susceptible de retarder le processus de ratification. La Turquie a aussi fait savoir que l'ouverture de sa frontière avec l'Arménie pourrait prendre du temps : « Pour l'heure, une ouverture de la frontière n'est pas envisagée et n'est pas la priorité », a déclaré lundi le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu. La Turquie n'entreprendra pas d'action « qui blesserait les intérêts de l'Azerbaïdjan », a-t-il ajouté un peu plus tard. L'Azerbaïdjan a estimé que la Turquie n'ouvrirait pas sa frontière avec l'Arménie sans un accord sur le Nagorny Karabakh. « L'ouverture de la frontière (arméno-turque) sans règlement du conflit au Nagorny Karabakh serait contraire aux intérêts de l'Azerbaïdjan », a déclaré à un porte-parole du ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères, Elkhan Polukhov. Le fait qu'Ankara ait immédiatement fait valoir les intérêts de l'Azerbaïdjan après l'accord conclu avec Erevan pourrait être un pas en arrière pour l'ouverture de la frontière entre la Turquie et l'Arménie, juge l'analyste politique arménien Sergueï Chakarian. « La frontière ne va pas rouvrir dans six semaines, six mois ou même deux ans, car le problème du Karabakh ne sera pas résolu avant », a-t-il prédit. Mais cet accord permettrait tout de même aux deux pays de regarder ensemble dans la même direction au lieu de se regarder en chiens de faïence. A.F.P., H. M.