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Une pensée émue pour (les) Alloula
Carnet de bord. Pièces détachées-lectures sauvages
Publié dans El Watan le 13 - 09 - 2009

J'ai été d'emblée ému lorsque Mme Raja Alloula, présidente de la fondation Alloula, m'a lancé une invitation pour venir donner une lecture publique de ma pièce, Les Borgnes ou le colonialisme intérieur brut, à Oran, dans la foulée du cycle Pièces détachées- Lectures sauvages.
Le geste de ma très chère Raja était d'autant plus touchant et courageux que cela survenait peu après le triste épisode de Tipasa (le 13 août dernier, la police avait interrompu une lecture publique que je donnais à même le site romain de Tipasa). L'invitation se voulait donc, aussi, un acte de solidarité active ; mais pour moi, c'était une lourde responsabilité que de me présenter dans le « fief » de « Sbaâ Wahran », comme on surnommait comme de juste Si Abdelkader Alloula. Toutefois, je m'enhardis en me disant que dans un sens il fallait le faire. Cela aurait même fait plaisir au maître, de voir de petits freluquets de mon acabit sortir de leurs petites certitudes, de leur molle timidité, et agir, se frotter au peuple, prendre leurs responsabilités de « cultureux ». Fort donc de cet argument, je sautai, jeudi 10 septembre, dans le train de 7h45 qui prenait son départ à la garde de l'Agha. Dans mon sac, un livre, En mémoire du futur : pour Abdelkader Alloula (Actes Sud, 1997). Florilège de témoignages aussi pertinents qu'émouvants, conduits d'une main de maître par l'immense poète Malek Alloula, frère presque « jumeau » du dramaturge. Si Abdelkader a été lâchement assassiné, dois-je le rappeler, le 10 mars 1994, rue de Mostaganem, au cœur d'Oran. 13h30. Me voici à El Bahia.
Le voyage fut agréable et sans la moindre anicroche. J'étais encore secoué par l'ampleur des témoignages et me sentis davantage happé par le spectre de cet artiste monumental doublé d'un homme de cœur d'une générosité illimitée et d'un intellectuel engagé, bataillant sur tous les fronts. Nabila venait m'accueillir à la gare, véritable abeille à miel de la fondation Alloula. Elle était accompagnée d'une fluette jeune fille en lunettes, pleine de verve et d'humour : c'est Rihab, la fille d'Abdelkader Alloula. Au volant, Amine, un fervent sympathisant de ce joli comité. Direction : l'appartement familial. Raja m'honore d'un accueil somptueux. Elles se plient en mille, elle et Rihab, avec une humilité et une sollicitude incommensurables, pour me concocter le plus beau des repas. J'étais dans mes petits souliers de côtoyer les portraits d'Abdelkader et ses précieux manuscrits. 22 h. On se pose à la maison de la culture Sghier Benali de Petit Lac, quartier populaire d'Oran, de ceux que Alloula affectionnait tant. C'est là que le Centre de documentation et d'archives théâtrales, créé à l'initiative de Raja Alloula, a élu domicile, calé dans un petit bureau. Bien qu'il soit d'une portée extraordinaire en tant que centre de ressources pour tous les créatifs du 4e art, le projet est menacé de capotage, m'explique Raja.
D'un coût estimé à 5 millions de dinars, figurez-vous que l'Union européenne se propose de le financer à hauteur de 80% (soit 4 millions de dinars), mais l'Etat algérien, avec son ministère, ses institutions, ses collectivités locales et tout le bastringue, rechignent à compléter les 20% restants, c'est-à-dire 1 million de dinars. Raja a écrit partout, en vain. Et même les sponsors, qui polluent nos écrans de ramadhan avec leurs promos ronronnantes à la sauce zlabia, ne daignent pas mettre la main à la poche pour sauver un projet aussi déterminant pour la sauvegarde de pour notre mémoire dramatique. Mais il n'est pas trop tard, fort heureusement, et les âmes de bonne volonté peuvent toujours faire quelque chose. 22h30. Le public est au rendez-vous. Un public « mixte » où l'on peut trouver des artistes, des étudiants et des universitaires et aussi bien des gens du peuple, des enfants surtout, des mômes du quartier tout ravis d'être dans cette charmante cour du centre culturel et faire corps avec le mot « culture ». Je suis mal placé pour parler de ma prestation, mais je peux, en toute « objectivité », relever la très bonne ambiance qui a marqué ce haut moment de partage et de communion que seule une grande dame comme Raja Alloula pouvait susciter.
Je me suis senti en plein dans l'univers de Alloula, au milieu de sa famille naturelle, parmi les siens, les (désormais) miens, ces « jouad » et ces « généreux » à qui il a dédié son théâtre et son âme. Et c'est touchant de voir sa fille Rihab prendre le relais avec autant de virtuosité, avec sa compagnie El Istijmam (titre d'un texte de Alloula). Ils font un tabac en ce moment avec une pièce hilarante intitulée Etteffah. Cette fabuleuse transmission me faisait jurer que Si Abdelkader était sorti juste à côté pour quelque affaire et qu'il n'allait pas tarder à nous retrouver. Oui, ta sève, ton sang, ta parole, ton combat, Si Abdelkader, sont loin d'être atteints. Malek Alloula le dit en des mots éternels : « Abdelkader, homme de parole(s), est exactement ce goual, se tenant pour toujours debout au centre de la halqa de la généreuse et noble amitié. » Merci Raja, merci Rihab. Et mille mercis, Si Abdelkader. Le f'tour était succulent !


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