Près de deux ans après l'annonce de la révision de la Constitution, le gouvernement de Bouteflika ne laisse apparaître aucune indication sur les contours et la forme que pourrait prendre la prochaine Loi fondamentale du pays. S'agit-il d'une profonde réforme bouleversant l'architecture du système institutionnel, ou serait-ce un simple toilettage sans réel effet sur la vie politique du pays ? Le mystère reste entier ! L'opacité – une donnée structurelle du système politique en place – le dispute outrageusement au débat public transparent et contradictoire autour de la rédaction de ce nouveau texte. Les rares déclarations – très vagues du reste – de certains leaders politiques, distillant à dose homéopathique des informations de second ordre, n'arrivent pas à dissiper l'épais brouillard qui entoure ce mystérieux projet politique. La cheftaine du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, informée par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, s'est suffi de parler d'une révision «qui ne sera pas approfondie et que la nature du régime politique restera inchangée». Comme seule donnée au tableau, il est pour ainsi dire judicieux de s'interroger sur les «visées» d'un pouvoir qui a promis monts et merveilles sur les changements politiques à opérer en Algérie au lendemain des mouvements insurrectionnels des peuples de la région. «Les réformes du président annoncées le 15 avril 2011 sont, à mon avis, des frappes préventives visant à gagner du temps», analyse, en vieux routier de la politique, le juriste et militant des droits de l'homme Mokrane Aït Larbi. L'opinion publique, elle, n'en sera pas plus édifiée pourtant de la part de tous ces partis politiques, nombreux, qui ont participé aux discussions avec le gouvernement. Selon nos informations, pas moins d'une trentaine de partis politiques ont été reçus par le Premier ministre dans le cadre des concertations informelles. Selon des sources fiables, l'ensemble des dirigeants de parti reçus par le Premier ministre ont exprimé le souhait de voir inscrit dans le projet de la réforme constitutionnelle «le retour à la limitation des mandats présidentiels». Ils auraient également exigé «le renforcement des pouvoirs législatifs et l'élargissement des prérogatives du Premier ministre». Inutile de chercher plus, les partis associés à la démarche se murent eux-mêmes encore dans un silence de cathédrale. Ni le FLN, ni le RND, ni le FFS, ni le MSP, ni même encore la très volubile Louisa Hanoune (PT) et autres formations n'ont daigné faire connaître leurs propositions. Pas plus d'ailleurs que leurs oppositions éventuelles. Une scène politique aphone C'est dire que si Bouteflika a décidé de faire l'économie d'un débat national en imposant «son projet» par le haut, la classe politique, elle, n'a pas jugé nécessaire de s'emparer de la question et d'en débattre publiquement. Elle est restée scandaleusement silencieuse. Empêtrés pour la plupart dans des crises internes et plombés par le verrouillage de l'espace public, les partis, accessoirement associés au projet de révision de la Constitution, semblent naviguer à vue, n'arrivant toujours pas à s'imposer sur la scène. La revendication d'une Constituante, qui est un sérieux passage vers la deuxième République, jadis leitmotiv de l'opposition démocratique, semble abandonnée. Les multiples cris du vétéran des défenseurs des droits de l'homme, Ali Yahia Abdenour, assurant que «les Algériens doivent se mêler avec force de ce qui les regarde, à savoir la révision de la Constitution qui occupera le devant de la scène politique au début de l'année 2013», ne semblent pas trouver écho chez une classe politique devenue aphone. Révisée en 2008 à coups de truchements politiques et dans l'unique souci de pérenniser le pouvoir du chef de l'Etat, l'actuelle Constitution réduit la fonction du Premier ministre à un simple «coordonnateur» de l'action du président de la République. Dans le fond, elle déséquilibre les pouvoirs. La révision de l'actuelle Constitution «doit consacrer le retour aux équilibres des pouvoirs. Il faut prévoir, par-delà la Constitution dans la vie politique et dans les lois qui l'organisent, un système permettant une alternance à travers une concurrence loyale des projets politiques», suggérait le professeur de droit Ahmed Mahiou, dans une récente interview à El Watan. Une Constitution n'a pas pour finalité de «résoudre les problèmes immédiats tels que le prolongement des mandats du président. Il faut réfléchir à un système politique à long terme qui va survivre aux hommes», préconisait-il encore. La prochaine révision devrait normalement «s'opérer pour garantir un Etat démocratique avec tout ce qu'implique cette notion, notamment la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice, l'alternance par des voies pacifiques dans le cadre de la République, le respect des libertés publiques et des droits de l'homme définis par les pactes internationaux et les équilibres fondamentaux des pouvoirs et des institutions, d'où la nécessité d'un référendum libre», plaide l'avocat Aït Larbi. Il se dit convaincu que cela «ne fait pas partie de l'agenda du pouvoir». D'aucuns estiment en tout cas que la «modification» de la Constitution est indéfectiblement liée à la présidentielle de 2014. Elle serait susceptible de façonner de manière anticipée les choix déjà fixés autour de la succession à la présidence de la République. L'adoption par le Parlement du projet de réforme constitutionnelle, qui devrait intervenir au plus tard au milieu du deuxième trimestre de l'année en cours, serait une dernière étape dans le processus de normalisation par le haut. Le régime, qui se barricade dans ses certitudes, aura ainsi fait rater à l'Algérie un rendez-vous crucial avec le changement démocratique, l'enfermant pour longtemps dans l'autoritarisme.