En 1996, lorsque le journaliste Arezki Aït Larbi introduit sa demande d'accréditation en tant que correspondant du Figaro, un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères en charge du dossier l'informe que l'obtention du fameux sésame était subordonnée à «un entretien amical» avec un certain commandant Fawzi du Département du renseignement et de la sécurité (DRS). Les mokhabarate. Entre-temps, le commandant est monté en grade en devenant colonel, bombardé au centre de la communication et de diffusion du DRS. Le véritable ministère de l'Information et de la Communication. Et bien évidemment, ayant refusé ce procédé, le journaliste n'obtiendra jamais son accréditation. Cette histoire est emblématique du contrôle impitoyable qu'exercent «les services» sur le secteur des médias dans une totale illégalité. En dix ans de règne, le colonel qui vient d'être débarqué a réussi à faire main basse sur le champ médiatique à partir de sa tour de contrôle de Ben Aknoun, un des QG du DRS. Hors de portée de tout contrôle politique ou juridique, le Centre de communication et de diffusion (CCD) fait et défait le paysage médiatique au gré des conjonctures politiques. Usant de son immense influence au sein des cercles décisionnels, il a aidé à la création de nombreux titres de presse écrite dirigés par des «copains», pendant que des demandes de lancement de journaux introduites par des journalistes connus pour leur autonomie par rapport au pouvoir sont illégalement rejetées. Le champ médiatique pourtant hermétiquement verrouillé se trouve au bout de quelques années noyé dans une «faune» de journaux aux lignes éditoriales assujetties aux directives des différentes factions du pouvoir. L'ANEP, la mamelle d'une presse aux ordres 136 quotidiens sont enregistrés au ministère de la Communication, dont le tirage de la plupart ne dépassant pas les 5000 exemplaires /jour. Et pour maintenir ces journaux budgétivores en vie, leurs «patrons» comptent sur les bonnes grâces du colonel qui leur garantit la riche manne publicitaire publique. L'Agence nationale de l'édition et de la publicité (ANEP) qui gère la publicité étatique depuis l'instauration du monopole des annonces étatiques décidée par l'ancien chef de gouvernement, Ahmed Ouyahia, est devenue un des canaux par lesquels toute sorte de pression s'exerce sur les journaux indépendants, mais aussi et surtout une mamelle de laquelle se sucrent de nombreux médias. Alors que les titres de la presse privée jugés trop indépendants sont carrément privés de la publicité publique au point d'en asphyxier certains, d'autres titres au très faible tirage sont grassement arrosés par l'argent du contribuable. Dans les milieux de la presse, le colonel Fawzi est désigné comme l'homme qui assurait cette rente publicitaire à des «amis» patrons de journaux. Mais pas que lui. Le frère cadet du président de la République, Saïd, est donné pour être aussi comme un des sponsors de nombreux journaux fondés ces dernières années et qu'il arrose allégrement de la manne publicitaire. Les grosses caisses de l'ANEP gérées dans une totale opacité n'ont pas manqué de susciter des doutes sur l'utilisation de cet argent. Il y a trois ou quatre ans, le budget de l'auguste agence publique était de 12 milliards de dinars, selon des sources dignes de foi. Les ministres qui se sont succédé à la tête du département de la Communication étaient presque «interdits» d'avoir un droit de regard sur la gestion de l'argent de l'ANEP. La loi Rahabi sur la publicité visant à revoir la gestion des annonces publiques a été bloquée au Parlement et n'a jamais vu le jour. Avec son rôle prépondérant sur la gestion de la publicité publique, le Centre de communication et de diffusion a fait de l'ANEP un instrument de domestication des titres de la presse privée et publique. Les rotatives étatiques sont aussi mises à la disposition de ces journaux politiquement corrects sans trop leur demander la contrepartie d'une prestation qui aurait provoqué leur disparition. En somme, la mise à la retraite du colonel Fawzi qui serait liée à son incapacité à «gérer» le déluge médiatique qui a suivi l'hospitalisation de Bouteflika – et accessoirement l'apparition, semble-t-il, involontaire du patron du DRS le général Mohamed Mediene dit Toufik au JT de 20 heures de l'ENTV le 4 juillet – s'apparente beaucoup plus au sacrifice d'un soldat ; indicateur, s'il en est, des luttes d'influence entre le DRS et le clan présidentiel qui s'exacerbent en ce temps de fin de règne.