C'est une riposte d'une rare violence. La réaction du ministère de la Défense nationale à la sortie médiatique du général-major à la retraite Ali Ghediri, dans laquelle il a assuré, entre autres, que le chef d'état-major, Ahmed Gaïd Salah, «ne permettra pas à qui que ce soit de violer d'une manière aussi outrageuse la Constitution», a provoqué une levée de boucliers. Elle a suscité polémique et controverses autorisant des interprétations aussi diverses que contradictoires. Mais d'évidence, elle a levé le voile sur le degré de nervosité qui prévaut au sein du système de pouvoir à la recherche d'une voie de sortie à la veille d'une élection présidentielle problématique. L'agressivité caractérisant le long texte du ministère de la Défense, qui cherche également à prouver «l'unité des rangs» du régime, vise manifestement à verrouiller par tous les moyens toute possibilité de débat de fond sur la crise politique dont toute la classe politique – pouvoir et opposition – admet l'existence. La réduction outrageuse des espaces d'expression libre s'est étendue aux officiers supérieurs à la retraite, soumis à l'obligation de réserve codifiée par une loi 16-05 du 3 août 2016. Mais qu'est-ce que cette loi autorise et interdit précisément et jusqu'où étend-elle le champ d'application ? Redevenu citoyen, un général-major ne peut-il pas donner son avis sur les questions d'ordre politique concernant son pays ? Une fois ayant quitté ses fonctions, un officier supérieur n'a-t-il pas le droit de faire sa reconversion en politique ou bien dans d'autres domaines touchant à la vie publique ? Cette loi s'applique-t-elle uniquement à tous les officiers ou seulement à une catégorie ? Pourtant, nombre de hauts gradés, qui interviennent dans le débat public, n'ont pas fait l'objet de rappel à l'ordre. Le célèbre avocat Mokrane Aït Larbi rappelle ce que dit la loi en question, notamment dans son article 15 bis qui explique clairement que «le militaire admis à la retraite jouit librement des droits et libertés garantis par les lois de la République, mais il reste tenu par l'obligation de réserve. Et que tout écart pouvant attenter à l'honneur et au respect des institutions de l'Etat est considéré comme une atteinte et diffamation passible de poursuite (…)». Et à l'avocat de s'interroger : «Existe-t-il dans les déclarations du général-major Ali Ghediri des expressions qui portent atteinte à l'honneur de institutions ?» Me Aït Larbi est catégorique. Aucune. «Il apparaît que dans l'interview – accordée à El Watan dans son édition du 25 décembre 2018 – que Ali Ghediri n'a jamais utilisé aucune expression constituant une atteinte ou diffamation contre une institution de la République. Bien au contraire, Ali Ghediri a vigoureusement défendu dans cette interview le respect de la Constitution et la légalité de passation de pouvoir selon les moyens légaux. Mieux encore, il a mis en garde contre le report de l'élection présidentielle, qui serait une violation de la Constitution et de la légalité», soutient Mokrane Aït Larbi. Par ailleurs, l'avocat et défenseur des droits de l'homme juge qu'il faut reconnaître au général-major à la retraite «son droit à exercer ses droits de citoyen et de participer au débat et au dialogue national et qu'il peut librement exprimer en toute liberté et responsabilité ses opinions et ses positions sur les questions concernant l'Algérie et son devenir». Dans le même ordre d'idées, l'avocat estime que «l'obligation de réserve ne doit pas signifier répression de la liberté d'opinion et d'expression, encore moins d'étouffer les voix, mais elle veut dire respect des institutions républicaines». Défenseur acharné du débat contradictoire, Mokrane Aït Larbi – figure du barreau – considère que la sortie de la crise que vit le pays «passe nécessairement par un dialogue sérieux et libre, et la libération des esprits du fantôme des complots. Mais aussi et surtout par la nécessité de faire la séparation entre les institutions et les individus d'une part et entre le pouvoir et l'Etat d'autre part. Et enfin par l'urgence de séparer les intérêts immédiats des groupes de ceux de l'Algérie éternelle». Embrayant sur l'affaire de Ali Ghediri, qui repose frontalement la question de la liberté d'expression, l'avocat poursuit sa plaidoirie en affirmant que les «libertés fondamentales du citoyen algérien, nonobstant son lieu de naissance, n'est un cadeau offert par personne. Nos libertés comme nos droits découlent de notre Révolution et du sacrifice de ses martyrs – que certains considèrent comme des ‘‘morts'' – pour que nous puissions vivre libres dans un Etat de droit qui tire sa légitimité de la souveraineté populaire».