A l'issue des cours que nous donnions au Centre de formation administrative (CFA), il aimait faire une halte dans mon bureau, non loin de là, pour profiter de la primeur des informations répercutées sur le fil de l'agence. Son esprit communicatif et sa culture assez riche en ont fait un personnage attachant. Lui, c'est Kazi Hadj Mahmoud, un des commis de l'Etat les plus distingués que le tout-Laghouat respecte pour son efficacité et prévenance. Pour avoir été, au lendemain du recouvrement de l'indépendance nationale, un des pionniers du processus d'algérianisation de l'administration locale, Mahmoud a réussi à se faire beaucoup d'amis et à tisser un réseau de connaissances composé de dizaines de stagiaires de l'Ecole nationale d'administration (ENA) qu'il a eu à encadrer et dont certains ont occupé ou occupent à ce jour un poste de ministre ou de wali. Il m'avait souvent fait part de son désir ardent d'écrire un livre sur sa ville natale et sur son parcours professionnel grâce auquel il a tissé de fructueuses relations avec les hommes férus d'histoire, d'art et de belles lettres. Les vicissitudes du temps ont fait que je ne l'ai plus rencontré, depuis 1989, année où j'ai précipitamment, quitté Laghouat. Mais ne voilà-t-il pas que, tout récemment, le secrétaire général de la wilaya de Boumerdès, Djamal Khanfar, natif lui aussi de Laghouat, m'offrit un exemplaire du livre tout chaud de Kazi Hadj Mahmoud : Laghouat, dignité et fierté pour l'éternité, un volumineux ouvrage de 775 pages, véritable hymne à la ville-jardin. Ineffable délectation que de parcourir, sans se lasser, la dizaine de chapitres consacrés aux us et coutumes des populations de cette oasis millénaire amoureusement chantée par le grand poète Takhi Abdallah Benkerriou. En rattachant à sa ville les attributs de dignité et de fierté, Kazi, loin de tomber dans le travers du narcissisme béat, a restitué à l'histoire de la région ses enviables heures de gloire. Heures de gloire remémorées à travers la farouche résistance des Laghouatis, dont plus des trois quarts ont été décimés, lors de la prise de leur ville en 1852, par les troupes du tristement célèbre général Pélissier ou la longue insurrection conduite par Nacer Ben Chohra. A 83 ans, tel un volcan qu'on croyait éteint, Kazi Hadj Mahmoud a réussi à faire jaillir des tréfonds de sa tendresse, d'incommensurables trésors enfouis dans la mémoire collective. A l'exemple de l'orpailleur, il a réussi avec un bonheur incontestable, à raviver des souvenirs d'une grande portée pour le ressourcement des générations qui vont succéder à la sienne. Quelque part, il a superbement enfourché ce sublime adage : «Nous sommes les héritiers de nos morts, les associés des vivants et la providence de ceux qui naîtront.»