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L'art redescend dans la rue
Publié dans El Watan le 16 - 01 - 2015

«L'art urbain n'est ni une tendance, ni une mode. Il existe depuis longtemps même si pendant la décennie noire, il a disparu», explique l'artiste peintre plasticien Karim Sergoua. Des fresques sur les murs à Alger, Tizi Ouzou, Béjaïa. Des escaliers nettoyés et sublimés par des peintures dans toutes les villes du pays. Des spectacles de rue à Annaba, Oran ou encore Béjaïa. Tous les signes montrent que les artistes ont décidé de se réapproprier l'espace public. Se «réapproprier» parce que, pendant plus de dix ans, l'art avait disparu de notre paysage urbain. Sir'z, artiste constantinois de 33 ans, spécialiste du wearing (prêt-à-porter de rue) confirme : «Ce n'est pas une découverte, mais une redécouverte. Même si notre génération n›a pas connu ça, mais l'art urbain existe depuis longtemps. La sortie de l'art des galeries à la rue est plus qu'une tendance mais une nécessité dans notre société !».
Certains artistes parlent même de «tradition», en évoquant le chaâbi se produisait en direct dans les quartiers, les peintures qui animaient les murs des cités. A la fin des années 70-début des années 80, une des promoteurs du street art s'appelait… Denis Martinez. «Il organisait des tournées dans tout le pays et encadrait ses étudiants des Beaux-arts. Ils ont laissé leur traces sur les murs et les pipelines», témoigne Karim Sergoua. Le plasticien et critique d'art Jaoudet Gassouma raconte que sa génération s'est même produite dans des prisons pour des ateliers de peinture ou de chant.
Rupture
Le début des années 1990 signe la fin de cet élan. «On a assassiné le ciment créatif et intellectuel pour rendre toutes les frontières perméables aux médiocres», analyse Khaled Samar, diplômé des Beaux-arts et concepteur visuel (designer graphiste). La génération née pendant les années de terrorisme, qui a aujourd'hui la vingtaine ou la trentaine, qui n'a donc jamais connu l'art de la rue, cherche à exister autrement que dans les salles de spectacles et les galeries, boudées par ailleurs par le public. Yasser Ameur est le créateur de l'homme jaune. Ce personnage gros, torse nu, habillé d'un pantalon à rayures et parfois de babouches est visible sous la forme d'une fresque, placette Ben Boulaïd. Mais il apparaît aussi sur des autocollants placardés sur les murs et les poubelles des rues d'Alger, d'Oran et surtout de Mostaganem, la ville natale de l'artiste.
Yasser raconte que pour attirer l'attention du public qui ignorait son art, il est allé «jusqu'à coller des stickers dans les sanitaires de sa fac» et jouer de la guitare dans les rues de Mostaganem avec un groupe de copains. «Il est temps de quitter les ateliers et d'incarner le changement que l'on veut avoir», lance aussi Slimane Sayoud, porte parole des 213writers, un collectif de graffeurs algériens dont le projet de création s'est concrétisé lors du Djart'14. Ce festival, qui s'est déroulé pour sa première fois en novembre et décembre dernier, est un évènement organisé par Transcultural Dialogues, une plateforme euro-méditerranéenne regroupant plusieurs jeunes professionnels actifs dans le domaine associatif passionnés par l'art et la culture.
Il a entre autres permis de mettre en lumière plusieurs arts urbains dont l'installation sonore, le street art sous forme de stickers dans les halls d'immeubles et les bus, les concerts sur la placette Ben Boulaïd, en face l'APN, réaménagée par un groupe de volontaires à l'aide de matériaux recyclés. «Le public est la raison pour laquelle nous produisons de l'art !» rappelle Nasch Slms la jeune beauzariste et aussi membre du collectif 213writers.
Facebook
Mais si leur mission, d'aller à la rencontre du public, a considérablement réussi, c'est en partie grâce aux réseaux sociaux. «Ils ont boosté la machine et ont joué un énorme rôle dans la promotion de notre art», reconnaît Yasser. C'est sur Facebook que Djart'14 a repéré les artistes qui se sont produits dans les festivals. Le Collectif pour la liberté de l'action culturelle et citoyenne (Clacc), une des groupes à l'origine du boom des streets arts, créé au printemps 2011, est bien placé pour en parler. Samir Nedjraoui, un des membres fondateurs avec Kateb Amazigh, explique : «l'objectif était de se réapproprier la rue algérienne, devenue trop triste, par l'art, la culture et la citoyenneté». Facebook a fait le reste. Des actions communes entre plusieurs wilayas ont vu le jour, et beaucoup de jeunes se sont appropriés le principe des concerts de rue, qui animent aussi les rues de Béjaïa, Sidi Bel Abbes, ou même Alger. Le concert de la Grande Poste en avril dernier restera d'ailleurs comme un des plus gros succès du collectif qui a su attirer jusqu'aux militants associatifs.
Surfant sur l'euphorie des débuts, les initiateurs du CLACC ont créé un autre mouvement à l'automne 2011 : El Biâa, mêlant art et… protection de l'environnement ! En mai dernier, ils appelaient le public à participer à une opération de nettoyage de la Casbah. Jaoudet Gassouma, qui refuse d'ouvrir un profil sur facebook, nuance : «Les réseaux sociaux peuvent aussi se transformer en ghetto.
Seul les gens qui adhèrent à ces sites peuvent y participer». Il invite les artistes à «essayer la rue», seul support capable d'attirer beaucoup de monde et met le fantaisiste «en contact avec son public». Khaled Samar insiste : «Les jeunes artistes doivent prouver leurs capacités à initier, à inspirer et à promouvoir de nouvelles formes d'action en bousculant les nouvelles habitudes, et en produisant un travail qui s'inscrit dans la pérennité.»
Désoeuvrés
Mais quels messages font-ils passer ? «Le principe de cet art est de décloisonner le discours artistique par une action participative, et de revendiquer des droits fondamentaux comme liberté d'expression ou de besoin d'exister dans la citoyenneté», affirme Jaoudet Gassouma. El Panchow, jeune artiste algérois, adhère à cette philosophie de son aîné. Pendant le Djart'14, il s'est attaqué aux jeunes désoeuvrés qui traînent dans les rues, un gobelet de café et une cigarette à la main en en caricaturant un d'eux. Yasser, de son côté, a fait le buzz sur les réseaux sociaux avec son dessin d'Abdelaziz Bouteflika peint en jaune : «Wach, ça va mieux ? Rani lassek», comme un clin d'œil à la fameuse phrase du Président «Rani beaucoup mieux».
Dernier buzz en date : la «révolution des escaliers», lancée par une internaute algérienne qui souhaite garder l'anonymat. Après avoir inondé les pages facebook des artistes de photos d'escaliers nettoyés et peints ailleurs dans le monde, avec un hashtag #Pourquoipasenalgerie, elle réussit à créer une dynamique. En juillet 2013, l'escalier des Artistes est rénové. Un an plus tard, un autre est rajeuni à Bologhine. D'autres artistes, dans d'autres villes du pays, suivent le mouvement. A Mostaganem, des enfants sont même entrés chez un particulier qui avait laissé la porte de sa maison ouverte, pour repeindre son escalier pendant qu'il dormait. Qui a dit que l'objectif du street art était d'aller à la rencontre de son public ?


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