Spectaculaire retournement de situation à la tête du ministère des Affaires étrangères. Quatre jours seulement après le remaniement gouvernemental qui a donné lieu à une réorganisation aussi curieuse qu'étrange de ce département en consacrant une bicéphalité, Abdelaziz Bouteflika fait machine arrière. Il se déjuge. Une première. Ainsi, la présidence de la République a décidé hier, à la surprise générale, de mettre un terme à cette aberration et d'apporter de nouveaux réaménagements sensibles dans les attributions des deux ministres. Ramtane Lamamra, qui a vu son champ d'action réduit à la faveur du remaniement de jeudi dernier, est remis en selle en reprenant la main sur son département avec, en prime, le rang de ministre d'Etat. Il est désormais ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. Il ressort victorieux d'un bras de fer larvé. Quant à Abdelkader Messahel, qui était nommé ministre des Affaires étrangères bis, il se voit rétrogradé et devient ministre des Affaires maghrébines, de l'Union africaine et de la Ligue arabe, s'occupant ainsi des organisations régionales. Que s'est-il passé entre-temps ? Pourquoi avoir commis un tel remaniement en sachant d'avance qu'il s'agissait d'un mouvement qui fait fi des règles et usages en vigueur et, surtout, qu'il allait nuire sérieusement à l'action diplomatique ? La «décapitation» de ce ministère stratégique a provoqué incompréhension et désarroi chez les fonctionnaires et les diplomates. La Présidence a-t-elle fait preuve d'improvisation ou a-t-elle manœuvré dans l'objectif de mettre en coupe réglée un ministère qui a pourtant retrouvé toute sa vigueur depuis la nomination de Ramtane Lamamra ? Dans les milieux diplomatiques l'on penche surtout pour la seconde hypothèse. L'envergure prise par ce dernier, doublée d'une popularité, a visiblement «déplu» et commence à «gêner» certains cercles du pouvoir, alors que Messahel, soutenu par le clan présidentiel, convoitait le ministère. Ramtane Lamamra aurait exprimé sa désapprobation du changement opéré lors du remaniement ministériel, à en croire des sources au ministère. D'autant qu'il n'a été ni associé ni informé au préalable de cette réorganisation. D'évidence, cette tentative d'isolement d'un homme qui commence à faire de l'ombre a fait long feu. Des cadres de ce département évoquent régulièrement le «climat tendu» qui y règne. Derrière les performances de Lamamra se tramaient des manœuvres visant à saper le travail effectué. Visiblement, dans certains milieux, l'on cherchait «à faire partir l'actuel ministre qui a pourtant redonné à notre diplomatie toute sa vigueur», témoigne un fonctionnaire. Les observateurs locaux et extérieurs n'ont pas manqué d'expliquer la bicéphalité du ministère par une volonté d'affaiblir l'actuel ministre. Des ambassadeurs en poste à l'étranger ont été inondés de demandes d'éclaircissement sur ce changement injustifié qui a semé la confusion et le flou dans certaines capitales. Une manœuvre qui obéit à des calculs politiciens internes et de repositionnement des fidèles du clan présidentiel. En filigrane apparaît une opposition entre les pôles du pouvoir sur l'approche et la marche à suivre en matière de politique étrangère. En coulisses, certains «adversaires» de Lamamra sont allés jusqu'à exprimer leur désaccord sur la conduite d'une certain nombre de dossiers, notamment celui du Mali. «Il est dangereux d'agir de la sorte à ce niveau de responsabilité. En affaiblissant la position d'un ministre qui effectue un travail remarquable, on affaiblit la position de l'Algérie vis-à-vis de ses partenaires étrangers. C'est faire preuve d'irresponsabilité», commente avec colère un ancien ministre des Affaires étrangères. «La Présidence s'est rendu compte de l'incohérence et de l'aberration d'un tel changement. Elle corrige dans la précipitation sans tenir compte des usages», estime un ancien haut fonctionnaire des Affaires étrangères. Plusieurs responsables du palais de Kouba étaient soulagés, hier, en apprenant la «remise en ordre de la maison». En tout état de cause, ce quiproquo peu diplomatique aura révélé le peu de sérieux qui préside à la conduite des affaires publiques.