Ces opérations interviennent après l'attentat-suicide perpétré lundi dans la ville frontalière de Suruç, qui a fait 32 morts et l'attaque, jeudi, d'un poste avancé de l'armée turque près de Kilis. Actions attribuées à l'Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie. Les bombardements des forces aériennes d'Ankara ont ciblé des positions tenues par le mouvement djihadiste sur le territoire syrien, face à la ville turque de Kilis. Près de cette même ville, «l'opération menée contre l'EI a rempli son objectif et ne s'arrêtera pas», a déclaré le Premier ministre Ahmet Davutoglu, ajoutant que «le moindre mouvement menaçant pour la Turquie entraînera la plus sévère des réactions». Dans cette optique, «nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour protéger nos frontières». M. Davutoglu a indiqué que ce raid aérien a été ordonné en représailles à l'attaque menée jeudi par un groupe de combattants djihadistes contre un poste avancé de l'armée turque près de Kilis. Le gouvernement envisage aussi de renforcer la surveillance de ses 900 km de frontières avec la Syrie en construisant un mur ou en déployant des dirigeables, afin d'empêcher les mouvements des djihadistes. Le raid d'hier a visé aussi des cibles des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui ont revendiqué le meurtre de deux policiers mercredi à Ceylanpinar, à la frontière syrienne, en riposte à l'attentat de Suruç. Selon Ahmet Davutoglu, 297 personnes, toutes soupçonnées d'appartenir à un «groupe terroriste», ont été arrêtées depuis le début de la journée dans 16 provinces du pays, dont 37 ressortissants étrangers. Une militante d'extrême gauche a été tuée lors d'une fusillade avec la police dans un quartier d'Istanbul, a rapporté l'agence progouvernementale Anatolie. Elle faisait partie du Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C), un groupuscule marxiste auteur de nombreux attentats en Turquie. L'attentat-suicide de Suruç a suscité la colère de la communauté kurde de Turquie, qui reproche au gouvernement d'Ankara son inertie face aux activités de l'EI sur son sol. Une organisation proche des rebelles kurdes de Turquie a ainsi affirmé sur son site internet avoir tué, mardi soir à Istanbul, un commerçant présenté comme un membre du groupe EI. De nombreux manifestants, notamment kurdes, expriment régulièrement leur colère dans les villes du pays pour dénoncer la politique syrienne de Recep Tayyip Erdogan. Le principal parti kurde de Turquie a appelé à un grand rassemblement demain à Istanbul. La base d'Incirlik ouverte aux avions américains Par ailleurs, la Turquie a confirmé hier avoir ouvert sa base aérienne d'Incirlik (sud) aux avions américains qui bombardent des cibles du groupe djihadiste EI. Cette base «sera utilisée dans un certain cadre», a déclaré le président Recep Tayyip Erdogan. «Nous avons eu un entretien avec Barack Obama, nous avons confirmé notre engagement à lutter» contre l'EI, a déclaré le chef de l'Etat turc. Membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), la Turquie fait partie de la coalition militaire antidjihadiste conduite par Washington mais a, jusque-là, refusé de participer à toute action militaire. Le Parlement turc a autorisé le 2 octobre 2014 une intervention militaire en Syrie et en Irak, mais les forces turques positionnées à la frontière, face à la ville frontière syrienne de Kobane, sont restées immobiles. La Turquie est engagée dans un processus de paix avec sa propre minorité kurde. Or, elle a accueilli avec méfiance la création en 2013 d'une administration autonome par le Parti de l'union démocratique kurde (PUD) dans trois cantons du nord-est de la Syrie abandonnés par le régime Al Assad. Ankara exige que les Kurdes syriens, qui réclament l'ouverture d'un couloir entre Kobane et la Turquie pour y faire transiter des armes, renoncent à cette autonomie. L'immobilisme des autorités turques face à la situation à Kobane suscite la colère des Kurdes de Turquie, qui ont manifesté par milliers à travers le pays. Le 11 octobre 2014, le ministre turc de l'Intérieur Efkan Ala avait fait état d'au moins 31 morts dans des affrontements avec les forces de l'ordre. Le président Erdogan a posé une série de conditions très strictes à une éventuelle opération militaire, notamment la création d'une zone-tampon doublée d'une zone d'exclusion aérienne dans le nord de la Syrie. Mais il a toujours insisté que l'objectif essentiel de toute intervention doit être la chute du président Bachar Al Assad. Comme il a qualifié de «terroriste» le principal parti kurde de Syrie (PYD), à la pointe du combat contre l'EI, au même titre que le mouvement frère du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène depuis 1984 la guérilla sur le sol turc. Les Etats-Unis ont apporté un soutien aérien à la résistance kurde face à l'IE et commencé, fin octobre 2014, à larguer du matériel médical et des armes au profit du PYD. Ankara a essayé de prouver sa bonne volonté en autorisant 160 Peshmergas irakiens, envoyés par le PDK, à franchir la frontière turque pour rejoindre Kobane. Mais ces troupes ne sont pas nécessairement bienvenues car le PYD souhaite conserver le commandement des opérations et voit d'un mauvais œil l'intrusion de son rival d'Irak. La ville de Kobane est contrôlée par le PYD, branche syrienne du PKK fondée en 2003. Le développement de ce groupe inquiète l'Etat turc d'autant qu'il a déjà la main sur la province de Rojava, au nord-Est. Le gouvernement syrien a accepté de retirer ses troupes de cette région et de déléguer son contrôle au PYD en échange de sa loyauté à Damas. Ce faisant, il a contribué à la consolidation de la filiale syrienne du PKK, qui a acquis un statut d'acteur politique de première importance dans la région. Pour le gouvernement turc, l'implantation de ce groupe en Syrie comporte le risque, sur le long terme, d'une remilitarisation du PKK, qui pourrait faire du Rojava contrôlé par le PYD une base arrière pour ses opérations sur le territoire turc.