Outre les atermoiements interminables, le projet verra défiler, depuis sa mise au point voilà plus d'une décennie, à l'initiative de l'ancienne équipe dirigeante du défunt Ferphos Group, environ une dizaine de partenaires de tous horizons. Après l'éviction, pour des raisons à ce jour inexpliquées, du pakistanais Engro, le projet, sur injonction présidentielle, sera confié, de gré à gré, aux Qataris du groupe Qatar Petroleum International (QPI). Toutefois, trois ans après son débarquement, la puissante compagnie intervenant dans l'industrie pétrochimique et pétrolière avait unilatéralement décidé, au printemps 2015, d'y renoncer. Après le départ de QPI, et sous la pression des plus hautes autorités du pays, la crise financière ayant pointé du nez, l'ancien ministre de l'industrie, Abdesselam Bouchouareb, devait mettre en branle ses réseaux de contacts personnels aux fins de dénicher un autre partenaire potentiel. Avaient, alors été sollicités, fin 2015, le français Roullier, leader européen de l'agrochimie, de l'agroalimentaire, ainsi que des technologies marines, puis le puissant groupe russe EuroChem, qui figure dans le Top 5 des producteurs mondiaux d'engrais et dont est propriétaire l'oligarque Andrey Melnichenko. Echaudé par «les expériences malheureuses vécues par Engro et QPI», EuroChem aurait décliné l'offre algérienne, ont indiqué nos sources. Ne sachant plus à quel saint européen se vouer, Bouchouareb s'était tourné vers l'Asie, trois nouveaux accords ont été signés, l'été 2016, avec l'indonésien Indorama. Les deux parties conviendront alors de la création d'une société minière entre le Groupe et Manal, pour l'exploitation du gisement de phosphates de Bled El Hedba, à Bir El Ater dans la wilaya de Tébessa. Toujours avec ce même ex-partenaire, il était question de monter une autre société exclusivement dédiée à la transformation de phosphates en acide phosphorique et phosphate de diammonium, au niveau des deux sites industriels projetés à Oued Kebarit et Hdjar Essoud (Skikda). Annoncé pour le 2e trimestre de 2017, le démarrage des lignes de production devait générer un chiffre d'affaires d'au moins 1,7 milliard de dollars/an. Et ce, outre les «600 M$/an attendus de l'exploitation d'un autre site industriel appelé à produire dès 2017 des engrais à partir du gaz naturel, dans le cadre d'une coentreprise associant Indorama, Asmidal et l'Office national des explosifs (ONEX)», se réjouissait-on. Alors que les Indonésiens étaient en attente d'un quelconque signe de leurs vis-à-vis algériens pour lancer les chantiers, un nouvel accord sera scellé, mi-février 2017, entre les groupes Manal-Asmidal et le saoudien Radyolla. Trois contrats distincts portant sur la valorisation, l'exploitation, la transformation et la commercialisation des phosphates pour 15 milliards $ d'investissements, soit près du triple, et 14 fois plus que ce qui a convenu au départ avec Engro, puis avec Indorama. C'est, une fois encore, peine perdue. Et tout porte à croire qu'il en sera de même avec les Chinois : «Croyez moi, avec l'approche actuelle, il faudra attendre 2030 ou au-delà pour que le projet puisse réellement aboutir. La transformation des phosphates en Algérie ne saurait être possible dans les conditions actuelles. Bien que l'on projette de doter le port de Annaba d'un quai phosphatier, disposons-nous d'infrastructures portuaires adaptées et de capacités suffisantes pour le traitement de millions de tonnes entre phosphates bruts, engrais et matières premières à importer ? Avons-nous la logistique et le rail nécessaire?», s'emportent nos sources. Pis, les choix jusque-là adoptés ne répondent, visiblement, à aucune logique économique. «Le projet devait être initialement implanté à Bouchegouf. La nature des terres peu propices à l'agriculture et la proximité de la ligne de chemin de fer étaient des facteurs justifiant le choix de ce site. Mieux, Bouchegouf est à une quarantaine de kilomètres de la mer et du port de Annaba, alors que Oued Kebarit en est à 160 km. Le projet aura besoin d'au moins 40 à 60 millions de mètres cubes par an d'eau industrielle. La région Tebessa-Souk Ahras manque d'eau», expliquent les mêmes sources, qui s'interrogent encore «comment délocaliser un projet d'un site proche de la mer, source d'eau inépuisable, et avec le potentiel de dessalement existant à Annaba, pour l'implanter à 160 km ? Ceux qui en ont décidé ainsi ont bel et bien fait l'impasse sur la rationalité logistique et la sécurité hydrique». Croisement des intérêts chinois En acceptant de s'engager dans ce projet, les Chinois de Cetic ont-ils tenu compte de toutes ces contraintes ? «Le nouveau partenaire chinois va sans conteste émettre des réserves sur les études de faisabilité déjà réalisées. Est-ce que l'Algérie va accepter de refaire ces études ? Les Qataris à qui on avait confié le projet de gré à gré, pourquoi sont-ils partis après 3 ans? Les Chinois ne viennent jamais pour perdre de l'argent. A l'instar de ses prédécesseurs, ce partenaire a signé un simple MoU -Memorandum of understanding. Et un accord de partenariat ne l'engage en rien», rétorquent nos sources. Le nouveau partenaire chinois, déjà lié à l'Algérie par un gros contrat, d'une toute autre nature, devait-il jouer le jeu pour y préserver ses intérêts ? Après le départ du japonais Cojaal en 2012, faut-il le rappeler, le Groupe Cetic, particulièrement réputé pour son expertise dans le domaine de la réalisation autoroutière, s'est vu confier l'achèvement pour 85 milliards DA, du reste du tronçon (84 km) de l'autoroute Est-Ouest reliant la commune de Dréan (El Tarf), au poste frontalier algéro tunisien de Laâyoune. En attendant la fin de la partition qui se joue depuis 2006 autour du projet intégré d'engrais phosphatés, l'on pourra toujours compter sur le marché international pour satisfaire les besoins de l'agriculture nationale de 300 000 à 400 000 tonnes/an. Le pays continuera d'importer pour plus de 600 millions de dollars de dérivés du phosphate. Minerai jusqu'à l'heure exporté à l'état brut, générant quelque 80 dollars/tonne alors que ses dérivés reviennent au pays à 800 dollars/t. Quant au complexe algéro-espagnol Fertial, qui détient environ 33 % de parts de marché – 130 000 à 150 000 tonnes d'engrais, bon an mal-, Ali Haddad qui est à l'affût d'opportunités dans le secteur, cherche toujours à en arracher les 49 % du capital. Parts jusque-là détenues par le groupe espagnole Villar Mir, auprès duquel le patron des patrons a déjà racheté 17 % en novembre 2016. «Il fallait affaiblir Fertial et la mettre en difficulté. Ainsi pourrait se justifier la cession de la totalité des parts de GVM au profit de Ali Haddad. Or, avec l'arrivée, l'été 2016, de Mokhtar Bounour à la tête de l'entreprise, les contraintes liées aux autorisations d'exportation ont pu être levées et les performances, en termes de production et d'exportation, ont, à l'inverse, connu un bond quantitatif et qualitatif. Ce qui a valu à M. Bounour d' être poussé à la démission, pour ne pas dire son éviction, mi-juin 2018», avons-nous appris de sources proches de la coentreprise.