Prévu par la nouvelle Constitution tunisienne dans les six mois suivant les élections législatives, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM)a vu le jour avec une année de retard. Les tiraillements politiques ont pesé lourd lors du processus d'installation dudit conseil. En élisant dimanche dernier les membres du Conseil supérieur de la magistrature, le corps de la justice en Tunisie a franchi un pas important vers sa libération de la soumission que lui imposait le pouvoir législatif. La Constitution du 27 janvier 2014 accorde un rôle capital audit conseil dans la gestion de la justice. L'article 114 de la Constitution charge le CSM de garantir le bon fonctionnement de la justice et le respect de son indépendance. L'article 106 indique que ce Conseil dispose de l'exclusivité de la proposition dans la nomination des hauts magistrats, qui se fait par décret présidentiel en concertation avec le chef du gouvernement. Le CSM nomme également, selon l'article 118, le tiers des membres de la Cour constitutionnelle. Vu cette importance accordée par la Constitution à ce CSM, les élections du week-end dernier constituent un événement historique puisqu'elles marquent un tournant majeur vers l'indépendance de la justice et un pas de plus sur la voie de la réussite de la transition démocratique. Mutation C'est la première fois dans l'histoire de la magistrature tunisienne que la grande famille du pouvoir judiciaire, les magistrats en premier lieu, mais aussi les avocats et les experts assument la charge de choisir, eux-mêmes, les membres du Conseil supérieur de la magistrature. Lequel Conseil assumera la mission de gérer la profession au niveau du mouvement annuel des mutations, de la promotion professionnelle des magistrats et de la décision des sanctions à infliger aux magistrats enfreignant les lois régissant la profession. Le juge Boubaker Ben Thabet, ancien vice-président de l'ISIE, déclare : «C'est un moment historique dans la mesure où l'on va rompre définitivement avec une malheureuse tradition instaurée depuis l'indépendance, celle de voir le Conseil supérieur de la magistrature dirigé par le chef de l'Etat qui présidait l'ouverture de l'année judiciaire et décidait des promotions à accorder, des sanctions à infliger et aussi des mutations qui étaient le plus souvent un moyen de pression sur les magistrats contestataires.» Il conclut, satisfait : «Aujourd'hui, les magistrats seront dirigés par des collègues qu'ils ont choisis eux-mêmes.» L'avocat Abada El Kéfi, membre de l'Assemblée des représentants du peuple, rappelle que le retard enregistré se justifie par deux recours pour anticonstitutionnalité présentés par un groupe de députés auprès de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois, avant que la loi ne soit promulguée par le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Mobilisation Magistrats judiciaires, administratifs et financiers, avocats, huissiers de justice, experts comptables, enseignants chercheurs de droit public et privé et de comptabilité publique ont constitué les 13 376 électeurs qui ont choisi les 33 membres du Conseil supérieur de la magistrature en Tunisie, parmi 179 candidats. Les élus ont complété les 12 membres nominés de par leurs fonctions pour former le premier CSM de la IIe République. Malgré les tentatives des partis politiques d'influer sur le cours des élections, ce sont les noms de «la liste professionnelle» qui ont survolé les résultats de ces élections. Ainsi, la juge Kalthoum Kennou, ancienne présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT) et candidate malheureuse à l'élection présidentielle de 2014, n'a pas réussi à obtenir un siège au CSM. Par contre, le juge Khaled Abbes, candidat dans le même collège que Mme Kennou, en a eu un. Pourtant, Abbes est accusé par ses détracteurs d'avoir dirigé le putsch contre l'AMT en 2005 et d'avoir servi les desseins de l'administration Ben Ali. Les élections ont été très serrées parmi les magistrats de troisième grade, qui représentent l'élite de la magistrature et le plus haut niveau de la profession. Les élus de ce corps peuvent prétendre à la présidence du CSM. Le taux de participation a été à hauteur de 77%. Les juges ont choisi leurs collègues Malika Mazari (198 voix) et Khaled Abbes (156 voix), alors que Kalthoum Kennou est arrivée en troisième position avec 144 voix. En d'autres termes, «ce sont les juges professionnels qui l'ont emporté face aux juges militants», conclut l'avocat-député Abada El Kefi. La Tunisie avance d'un pas dans sa transition démocratique.