Qui peut et doit réformer une religion sans clergé qui a laissé toute la responsabilité à l'individu, sans intermédiaire, et ce, même si les musulmans ne cessent de vouloir se créer un quasi-clergé et de lui attribuer un monopole d'interprétation et de guidance au point où le croyant a cédé ses obligations directes — pourtant imposées par le Créateur — à force de se mêler de tout, de se prononcer sans appel et de se voir consacrés par les fidèles qui les interrogent sur tout et se fient à eux parfois aveuglément (jusqu'à la violence meurtrière contre leurs «frères») les innombrables cheikhs et imams ont acquis un énorme poids et une puissance incontournable dans la société. Les croyants sont coupables d'avoir cédé leur responsabilité individuelle (et, par-delà collective) mettant en veilleuse leur lucidité et leur esprit d'analyse au point où ils peuvent se permettre de franchir le mur de la décence, se fiant même aux conseils de cheikhs au sujet de leurs relations intimes… Exit la médecine, la psychologie, la sexologie, l'orthophonie et autres disciplines scientifiques de la santé au profit de décrets de cheikhs et d'une Roqia — panacée vidée de son sens. La raison cède donc la place à la pensée magique que le monothéisme n'arrive apparemment pas encore à éradiquer… Or, ces clercs — peu instruits de la complexité de l'être humain et de l'univers dans lequel il vit, qui comptent des ignares dans leurs rangs — sont pour leur écrasante majorité de féroces gardiens du Taqlid dont ils sont aussi les instruments les plus zélés. C'est ce qui explique l'ampleur de l'immobilisme passéiste conservateur. Celui-ci constitue une force d'inertie qui contribue à renforcer l'aliénation des masses, confinées aux RTT, devenus les trois piliers supplémentaires d'un l'islam minimaliste tel que vécu, c'est-à-dire ritualisé au point de paraître sclérosé, dépouillé de sa sublime spiritualité. Celle-ci demeure confinée à une minorité de fidèles et à des mystiques-soufis qui sont victimes d'ostracisme, voire d'excommunication de la part de membre du corps professionnalisé de cheikhs qui se sont appropriés le droit de juger. Pourtant, que de fois le Prophète lui-même se fait apostropher par L'Unique qui limite sa mission à transmettre le Message, le jugement des cœurs Lui étant réservé exclusivement. Dès lors, qui et quoi réformer ? Réformer le musulman ? La réponse se trouve fort probablement à ce niveau et le recours au singulier n'est pas fortuit du fait que, contrairement à la démission personnelle et collective, figée dans l'attente inassouvie de sauveurs «capables» de mener le peuple, encore au stade de «Ghachi», vers le développement, l'éthique, le patriotisme, la solidarité et la probité, en un mot vers l'humanisme, tout repose sur la base et non le sommet, c'est-à-dire sur chaque individu. L'histoire le prouve avec constance et les hommes providentiels qui ont pu la marquer avaient eu le trait de génie de profiter de circonstances dont ils avaient pu comprendre la dynamique pour insuffler un bond en avant à leurs compatriotes. Mais ces exceptions sont très rares et l'attente d'une solution par le haut, voire d'une intervention divine, relève aussi de la pensée magique. Bien plus, c'est ignorer expressément le décret divin immuable : «La Youghaïrou Allahou Qawman…» pourtant récité, ressassé, rappelé, clamé, psalmodié, brandi ad nauseam tel le refrain d'une chanson en langue inconnue qu'on fredonne nonchalamment, indifférent au sens des mots et à leur portée. Les musulmans en général et les Algériens en particulier dénoncent à longueur de journée le chaos, l'individualisme, la corruption, le népotisme, le régionalisme, l'injustice, la violence, l'incivilité et la saleté… auxquels ils contribuent outrageusement, exigeant des solutions clé sen main des autres, de l'Etat-Houkouma, voire du bon Dieu. éresponsabilisation inouïe qui va jusqu'à assimiler «le pouvoir» ou «le régime» au gouvernement et surtout à l'Etat, sans respect pour notre Etat algérien, le nôtre et pour les biens collectifs vandalisés quand ils ne sont pas pillés. Après El-Beylik puis França, c'est au tour de la Houkouma-régime-pouvoir-Etat de se soumettre aux cupidités, aux pillages, aux destructions et de servir de défoulement aux frustrations violentes d'individus et de groupes facilement déchaînés, sans foi ni loi. Assurément, le bédouin prévaricateur n'est pas encore totalement sorti du cœur, ou plutôt du ventre de l'Algérien dépositaire d'un islam supposé le guider vers le salut. Le ventre parce que tout repose essentiellement sur l'accaparement et la consommation. Même le religieux est devenu produit consommable. La question se pose en termes d'(in)culture ; elle ne relève aucunement de débats théologiques. La preuve en est que le «parler musulman» envahit l'espace public, les ondes, le web et les chaumières, servant de terreau au surgissement d'experts autoproclamés innombrables dont certains fondent de véritables sectes qui recourent à la violence symbolique, parfois traduite par la mise à mort de (trop) nombreux innocents — très majoritairement musulmans — dont la vie avait pourtant été déclarée sacrée par Le Créateur. Si cet appel à la responsabilisation individuelle engagée semble exonérer «le pouvoir-régime-Houkouma» aux yeux de celles et ceux qui entretiennent un statu quo de désolation, qu'ils sachent que la «trahison de élites» est une réalité avérée et qu'il est vain de demeurer dans la posture pour le moins confortable de la dénonciation, devenue sport national. Quelques éléments de réponse à méditer : – Rappelons de nouveau que le changement qualitatif par le haut est une illusion — qu'il est inutile et même dévastateur pour l'avenir d'entretenir. De toutes les manières, même en supposant un changement de régime, quel est donc le miracle que le nouveau pouvoir est capable d'effectuer ? Qu'on se rende à l'évidence : on n'a que ce qu'on mérite. Il est illusoire de réclamer un gouvernement de saints pour un «Ghachi». – Ceux qui rêvent et parlent sans cesse de changement doivent enfin admettre que le rapport de force (s'il en est) leur est défavorable, même au prix de leur vie. – Le réalisme commande que, incapable de changer le haut de la pyramide, chacun assume ses responsabilités envers Dieu, sa patrie incarnée Notre Etat algérien, sa famille, ses «frères» et son voisinage… En commençant par exemple, au moins, à cesser de jeter ses ordures dans l'espace public, puis à inciter autrui à faire de même, avec le sourire et sans l'agressivité du donneur de leçons. Ce sera alors le début d'un changement à la base permettant à la société de «secréter» l'élite qu'elle aura méritée, laquelle ne tombera guère du ciel, un Ciel à l'écoute de l'engagement effectif : aide-toi, le Ciel t'aidera. L'Algérien et le musulman en lui doivent se réformer eux-mêmes d'abord pour créer les conditions propices à la consolidation d'une société plus humaine, plus humaniste, avec moins de bondieuserie et plus de spiritualité, en phase avec la marche de la civilisation universelle.