Le nom de Zoubir Souissi se confond intimement avec celui de notre confrère Le Soir d'Algérie dont il fut membre fondateur et l'emblématique directeur pendant de longues années. M. Souissi est aussi l'ancien président du (défunt) Conseil d'éthique et de déontologie de la presse, structure « utopique », selon ses propres mots, qui fut une première tentative (malheureusement avortée) de « moraliser » la profession. Nous l'avons rencontré en marge d'un atelier sur l'éthique et la déontologie des médias organisé par l'Union européenne et la FIJ les 22 et 23 mars dernier. Dans cette interview, il revient sur son expérience à la tête du conseil et sur les grands chantiers qui attendent la presse. Dans votre intervention, vous avez dit que parler d'un conseil et d'une charte d'éthique et de déontologie est une « coquetterie des journalistes ». Doit-on comprendre que cela ne constitue pas une priorité à vos yeux ? Effectivement, c'est une coquetterie des journalistes. Moi je dis qu'il y a des choses plus urgentes. J'estime que le principal problème auquel se heurte la profession, c'est le manque de formation des journalistes. Un journaliste qui n'est pas formé est plus exposé à contrevenir aux règles de l'éthique et de déontologie et à toutes les valeurs morales de notre métier. Comment est né le premier Conseil d'éthique et de déontologie ? C'était en 2000 n'est-ce pas ? Le conseil, c'était une initiative des journalistes qui avaient profité à l'époque d'une ouverture dans le système. Il y avait un ministre de la Communication à qui il faut rendre un vibrant hommage, c'est Abdelmadjid Tebboune. Il a fait un passage éclair dans la profession, et c'était lui qui, à la suite de l'initiative du Syndicat des journalistes, avait mis la logistique du ministère de la Communication à notre disposition. Parce que, comme nous n'avions pas de cadre organisé, nous n'avions pas les moyens de travailler. Nous avons quand même fait venir quelques centaines de journalistes de l'intérieur du pays, donc, cela suppose des billets d'avion, des chambres d'hôtel, la salle de conférences, etc. C'est ainsi qu'en avril 2000, il y a eu l'adoption de la charte d'éthique et de déontologie. C'est un groupe de travail qui l'a élaborée en s'inspirant de ce qui se fait dans le monde et de l'expérience de divers pays. Ce groupe avait présenté les résultats de ses travaux à l'assemblée générale laquelle les a entérinés. Dans la foulée, la même assemblée générale avait procédé à l'élection d'un Conseil de l'éthique et de déontologie. Et nous avons été élus pour un mandat de 4 ans. Au jour d'aujourd'hui, quel est le sort de ce conseil ? Dans quelle situation se trouve-t-il ? Il n'existe plus tout simplement ! On ne peut pas pour autant parler de dissolution. Il se trouve juste que le conseil a été élu pour quatre ans et qu'il a consommé son mandat. D'aucuns estiment que si le conseil a échoué, c'est parce qu'il ne disposait pas de suffisamment de prérogatives pour « sévir ». Qu'en pensez-vous ? Tout à fait ! Quand la première mouture a été faite, cela a soulevé beaucoup d'enthousiasme et de volontarisme. Le hic est qu'on a réfléchi à tout sauf à cette question de prérogatives. Si bien que, dès que nous avons été confrontés aux premières affaires à traiter, nous avons mesuré nos limites. Par exemple, l'une des règles que l'on s'était fixée, c'était la publication systématique des droits de réponse. Et à ce propos, nous nous sommes retrouvés dans cette situation paradoxale où pour des gens comme moi qui a passé toute ma vie à lutter contre la censure, c'est nous qui sommes devenus les censeurs. L'une des choses qui m'ont le plus scandalisé concernait les mises au point. On met en cause des gens, après, on leur refuse le droit de répondre, on leur refuse le droit de s'expliquer. Moi j'estime que c'est la pire des injustices. On s'octroie un pouvoir inacceptable. Plus grave encore : c'est l'histoire de la réponse à la réponse, c'est-à-dire, moi je suis patron d'un journal, quelqu'un me fait une mise au point, et moi, je m'octroie le droit de répondre à la réponse. Ce n'est pas normal. Ce n'est tolérable ni aux yeux de la loi, ni aux yeux des règles éthiques les plus élémentaires de notre métier. Donc, concrètement, vous faisiez le constat de n'avoir aucune autorité… Aucune ! Ce qui m'amène à dire que ce conseil était une structure platonique. On était là pour inaugurer des chrysanthèmes. Cela n'aurait été viable que si tout le monde s'était mis d'accord sur une ligne de conduite et s'y conformait. Par exemple, l'une des questions qu'il faut trancher est de savoir si le conseil dispose du pouvoir de sanctionner. Et maintenant, qu'est-ce qu'il y a lieu de faire pour le remettre sur pied ? Il faudrait songer peut-être à créer de nouveau un groupe de travail pour réfléchir à la chose. Hélas, nous offrons le triste spectacle d'une armée en débandade. Les uns tapent à gauche, les autres à droite. Il y a diversité de syndicats d'accords, mais tout cela n'est pas fait pour nous unir. A l'époque, c'est le terrorisme qui nous avait unis. Aujourd'hui, des dissensions en tout genre sont en train de nous déchirer. Si nous examinions maintenant la question du point de vue du rapport entre éthique et politique, il y a lieu de relever le fameux code pénal, ouvertement coercitif à l'égard des journalistes. Ce code n'a-t-il pas quelque peu faussé la donne dans la mesure où il ne laissait pas la possibilité à la profession de s'autoréguler ? Il faut dire que le pouvoir n'a jamais accepté cette structure, et ce, en dépit de ses pouvoirs très limités. D'ailleurs, les tentatives qui ont été formulées après cette expérience avaient une tout autre vision, avec beaucoup de « sanctionneurs », des gens du ministère de la Justice et autres. On voulait réduire le conseil à une peau de chagrin. C'est dommage parce que l'initiative des journalistes a été excellente. L'une des revendications récurrentes des journalistes, justement, porte sur la dépénalisation du délit de presse. Ne pensez-vous pas que le pendant d'un tel acquis, si tant est qu'il soit arraché un jour, serait que la profession s'auto-organise autour d'un code efficace ? Il faut, en effet, de l'autorégulation. En Suède, par exemple, le pire qui puisse arriver à un journaliste, c'est qu'il ait des démêlés avec le conseil de l'éthique, car là-bas, ledit conseil est l'autorité suprême pour les journalistes. Vous plaidez aussi pour qu'il y ait une commission nationale de la carte et pour une unification de la carte professionnelle de presse… Oui, comme dans tous les pays sérieux. Aujourd'hui, on se retrouve avec des journaux médiocres, de rien du tout, qui s'arrogent le pouvoir de délivrer une carte de presse. C'est aberrant ! Vous avez conclu votre intervention en disant aux journalistes : « Il faut se parler ». Or, quand on scanne le paysage médiatique national et ses 80 quotidiens, il apparaît comme une fracture dans la « famille » de la presse. Comment peut-on se parler dans un climat aussi hostile ? Je dirais que la situation est bien pire. La presse est minée par des conflits d'intérêt, et même les conflits traditionnels entre arabisants et francisants sont dépassés. La guerre fait rage entre deux grands quotidiens arabophones, El Khabar et Echourouk, avec, à la clé, une guerre des chiffres. Personnellement, je ne crois pas à cette histoire d'un million d'exemplaires (Echourouk affirme avoir atteint les 2 millions d'exemplaires, ndlr). Est-ce qu'il y a un million de personnes qui achètent un journal quotidiennement ? Je demande à voir. Ça, c'est de l'autosatisfaction à défaut d'autorégulation. Mais tout n'est pas perdu pour la profession, rassurez-nous… Pour le vieux chameau que je suis, moi qui ai commencé en l'an de grâce 1966, soit 44 ans dans le métier, la machine commence à devenir poussive, donc c'est à vous, les jeunes, de prendre le relais. Battez-vous ! Nous, à votre âge, on se battait. La balle maintenant est dans le camp de votre génération.