Le PT (Parti des travailleurs) a installé hier «un comité national pour la libération» de sa secrétaire générale, Louisa Hanoune, placée jeudi dernier en détention provisoire par le tribunal militaire de Blida, dans le cadre de l'affaire de Saïd Bouteflika, frère conseiller du Président déchu, du général Mohamed Mediène, dit Toufik, et du général Bachir Tartag, placés sous mandat de dépôt, il y a une semaine par le tribunal militaire pour «complot contre l'Etat et l'autorité militaire». «Déjà de nombreuses personnalités historiques, syndicales, politiques et médiatiques ont adhéré à cette structure», a affirmé, hier, Youcef Taazibt, membre de la direction du PT, lors d'un point de presse animé au siège de la formation politique. Visiblement très affecté par l'incarcération de Louisa Hanoune, Taazibt a eu du mal à s'exprimer devant les nombreux journalistes et syndicalistes présents. «Louisa a derrière elle 45 ans de militantisme. A 29 ans, elle est restée six mois en détention dans les prisons du parti unique. Elle luttait pour les droits et la démocratie et n'a jamais fait marche arrière. Par sa détention, ils veulent priver le parti de sa secrétaire générale et le hirak des opinions et des solutions à la crise. Louisa était engagée pour une sortie politique. Elle n'a jamais marchandé sa politique, ni fait appel à l'étranger», déclare Taazibt, précisant que le parti auquel il appartient milite pour une Constituante pour une démocratie. L'orateur s'insurge contre la diffusion d'images de Louisa Hanoune entrant au tribunal militaire. «En entrant dans cette juridiction, elle était déjà condamnée. L'acte politique ne peut être sanctionné que politiquement. Jusqu'à aujourd'hui, ni le PT ni la famille de Louisa ne savent pourquoi elle est inculpée et détenue. Elle est interdite de visite et aucune déclaration du tribunal militaire n'a été faite pour nous éclairer sur les charges retenues contre elle. Nous ne sommes pas dupes. Louisa avait pressenti ce qui l'attendait, puisqu'elle avait pris ses médicaments avec elle. Nous n'avions pas d'informations précises, mais nos lectures politiques de la situation présageaient tout. Ils ont agi par anticipation en menant des campagnes d'insultes, de diffamation et médiatiques contre la secrétaire générale. Dans sa dernière déclaration ici même, elle a exprimé la position du parti notamment sur la nécessité d'une Constituante, et le retour de l'armée dans les casernes. Nous avons recensé 127 000 attaques contre le parti sur les réseaux sociaux», révèle Taazibt. Il précise en outre que le PT n'a jamais caché son «combat contre le système» et rappelle qu'en 2014, lorsqu'il a rejoint le groupe des 19 personnalités qui avaient parlé de l'isolement du Président déchu, «des parties ont voulu faire éclater le PT de l'intérieur. Nous avons échappé à cette tentative d'implosion malgré les milliards dépensés par les auteurs de ces actes». A en croire Taazibt, Louisa Hanoune dérange ceux qui veulent sauver le régime. Il y a une année ici même, dit-il, elle a dénoncé le 5e mandat et s'est exprimée contre la continuité. «Le PT n'a pas voulu prendre part à l'élection présidentielle du 18 avril, de même qu'à celle du 4 juillet prochain et fait démissionner ses députés. S'ils pensent que de cette manière le PT reculera par rapport à ses positions, ils se trompent. Jamais nous ne ferons marche arrière. Chaque minute que Louisa passe en prison est considérée comme une oppression et une violation. Cette femme n'a plus 20 ans. Elle a des maladies qui l'obligent à prendre régulièrement ses médicaments. Nous ne nous tairons pas et jurons de tout faire pour la libérer. Elle fait partie de réseaux internationaux, qui sont déjà en train de créer une chaîne de solidarité pour la faire libérer», affirme Taazibt. Le membre de la direction du parti lance à la salle qu'il est incapable de répondre aux questions, étant donné qu'il n'a «aucune information, ni sur les accusations retenues contre la secrétaire générale, ni sur les circonstances de son inculpation, encore moins sur les conditions de sa détention». Il indique que des cadres du parti ont tenté de rendre visite à Louisa Hanoune en prison, mais ils ont essuyé un refus du tribunal militaire. Il évoque également les partis politiques qui ont exprimé leur soutien à la secrétaire générale du PT, tels que le FFS, le RCD, le PST, mais également la LADH, dirigée par Boudjemaa Ghechir, ainsi que de nombreux syndicats. Présente par solidarité avec Louisa Hanoune, l'ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, trouve «inacceptable» que ni le PT, ni la famille, ni les proches de Louisa ne soient informés des accusations retenues par le tribunal militaire. Elle dénonce fermement le fait d'avoir filmé Louisa Hanoune à son insu pour en faire une large diffusion. «C'est une violation des droits de l'homme. Et les lois de la Constitution interdisent ces pratiques», s'insurge Khalida Toumi. Elle s'adresse aux représentants des chaînes de télévision publique et privée qui utilisent ces images de la militante à son insu en leur disant : «ces actes n'honorent ni les médias lourds ni la presse algérienne qui a payé un lourd tribut pour la liberté. Ils n'honorent pas l'Algérie. C'est un viol caractérisé.» Elle rappelle que Mme Hanoune a été convoquée en tant que témoin dans le cadre de l'affaire du frère du Président déchu, Saïd Bouteflika, et les deux généraux, Mohamed Mediène et Bachir Tartag. «D'après ce qui a été rendu public officiellement, les trois sont poursuivis sur la base de trois articles, deux du code de procédure pénale et un du code de justice militaire. Si l'on se réfère à ce qui a été écrit, on leur reproche de s'être réunis le 30 mars pour changer le régime. Or, à cette date aussi bien le président Bouteflika que son frère étaient en poste. Il en est de même pour Tartag. A supposer que Louisa les a rencontrés. Elle était dans son rôle en tant que responsable d'un parti politique de rencontrer tout le monde. Elle est donc arrêtée et mise en prison pour avoir joué son rôle politique consacré par la Constitution à laquelle ceux qui l'ont arrêtée tiennent beaucoup. Son incarcération est un grave dérapage. On veut sa libération immédiate et que ce genre de dérive soit banni», conclut Khalida Toumi. Le journaliste Mohamed Iouanoughene interpelle lui aussi les médias, particulièrement les chaînes de télévision, en leur disant «de refuser de diffuser les images volées. Ne tombez pas dans le piège de vos patrons. Eux, ils ont le souci de la publicité, mais vous en tant que journalistes, votre souci doit être l'éthique et la déontologie. Ces diffusions en boucle d'images prises par des militaires et imposées aux chaînes de télévision publique et privée constituent une dérive gravissime que vous ne devez plus accepter». A la fin de la rencontre, une pétition pour la libération de Louisa Hanoune a été lancée et déjà de nombreuses personnalités historiques, syndicalistes, politiques et médiatiques l'ont signée. «Indignés par l'arrestation arbitraire de Louisa Hanoune, SG du PT, militante de la démocratie, des droits des femmes, de la souveraineté populaire (…) et sa mise en détention provisoire par le tribunal militaire de Blida depuis le 9 mai et mise dans un état d'isolement, privée de toute visite, sans aucune information officielle sur les charges retenues contre elle, nous dénonçons cette incarcération qui touche un responsable politique, et ce, quel que soit notre point de vue sur la politique du Parti des travailleurs et de sa secrétaire générale. Nous décidons de nous constituer en comité national pour la libération immédiate et inconditionnelle de Louisa Hanoune. Cet acte antidémocratique qui criminalise l'action politique est dirigé aussi contre les millions d'Algériens et Algériennes engagés dans la révolution inédite pour le départ du système.»