L'assemblée générale du Conseil régional Rhône-Alpes du culte musulman (CRCM) se réunit cette semaine. Alors que l'Islam est régulièrement à la une de l'actualité, nous avons demandé à Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne et président du CRCM, son sentiment sur les sujets de l'heure. Ces derniers temps, les musulmans se sont sentis soit interpellés, soit critiqués lors des dossiers qui ont fait l'actualité, comme le fast-food halal, le voile intégral ou encore l'affaire de la polygamie. Quel est votre sentiment sur ce que certains ont qualifié d'« islamophobie » ? La recrudescence des actes à caractère islamophobe en France, depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001, est un fait incontestable : mosquées incendiées, taguées ou même mitraillées, des cimetières profanés, des imams agressés, des mères de famille importunées dans la rue parce que portant le voile… Nier les menaces et violences exercées contre les musulmans de France ou relativiser ce fait social nouveau et extrêmement préoccupant est une grossière erreur. Il faut intervenir au moindre incident islamophobe, même verbal, il ne faut rien tolérer, ne rien laisser passer. C'est ce que nous avons toujours dit et le procureur général de la cour d'appel de Lyon a entendu notre appel en mettant en place, en juin 2009, une cellule de veille des actes antimusulmans dans les départements de l'Ain, de la Loire et du Rhône. Cette cellule de veille est formée de responsables religieux, d'avocats de juristes et des personnes de la société civile. Nous nous réunissions au moins deux fois par an avec le procureur général et tous les procureurs de la république à qui nous remettions les listes de tous les actes antimusulmans que nous avions auparavant recensés. Le président du CFCM, Moussaoui, a revendiqué récemment le « droit à l'indifférence ». Faites-vous vôtre cette demande ? Moi, je dirais le droit à la « différence ». La France n'est pas une race, une ethnie ou une religion. Etre Français, c'est assumer justement l'héritage d'une nation métissée qui se veut indivisible. Il ne faut tout de même pas oublier que plus de deux millions et demi de valeureux soldats venus d'Afrique, dont 800 000 Maghrébins, ont combattu auprès de l'armée française pour une France libre et forte. Le fait d'être français n'exclut pas le fait d'être fier de ses racines. Je suis fier en ce qui me concerne d'être musulman, comme je suis fier de mes racines algériennes et je regrette la manipulation malsaine du débat sur l'identité française qui a engendré beaucoup de dégâts à l'intérieur comme à l'extérieur de la France. Le ramadhan se déroule cette année en août et donc le hadj vers la fin novembre, où en est le projet de guide et de charte du hadj, avancé par le CRCM ? Si en Algérie, 36 000 pèlerins partent chaque année accomplir le hadj, en France 30 000 pèlerins se dirigent chaque année à La Mecque pour y faire le pèlerinage aux lieux saints de l'Islam. Et si en Algérie, c'est l'Etat qui s'en occupe, en France ce voyage d'intense spiritualité est à la charge des agences de voyage, de certaines mosquées, des associations et de personnes à titre individuel. Cela explique les nombreux abus que nous cessons de recenser : escroquerie, non-délivrance d'un contrat de voyage, non-respect du hadj… C'est pourquoi nous avions mis en place une charte du pèlerin que nous avions soumis, en 2005, aux agences de voyage qui l'ont adoptée dans leur majorité. Notre souci était d'apporter un peu d'ordre dans l'organisation de ce voyage, autour duquel se développe malheureusement un véritable commerce de la Foi. Le financement des mosquées est un gros dossier avec les nombreux projets qui fleurissent. Il est beaucoup fait appel aux fidèles. Quelles autres solutions existent hormis l'implication forte des gouvernements étrangers, comme l'Algérie à Marseille ou encore comme récemment à Torcy en Saône-et-Loire ? Contrairement à ce que l'on croit, le nombre de mosquées reste insuffisant. Il y a en France, 2000 lieux de cultes (en fait ce sont des salles de prière ne dépassant pas en général les 100 m2) alors que le nombre de musulmans est estimé à 6 millions. L'Allemagne dispose de 3000 lieux de culte alors que le nombre de musulmans ne dépasse pas les 3 millions. Une cinquantaine de lieux de culte se construisent chaque année en France et le financement de ces mosquées est devenu un vrai casse- tête, car l'autofinancement par les fidèles ne suffit plus. C'est pourquoi, je ne désespère pas de voir un jour les musulmans de France bénéficier de sources de financement liés à la pratique du culte musulman pour financer les constructions de ces mosquées. Je pense notamment au marché du hallal, dont le chiffre d'affaires en France est estimé à 10 milliards d'euros, aux 250 millions d'euros du pèlerinage et accessoirement aux assurances obsèques. Vous l'avez dit, il y a des pays étrangers, comme l'Algérie, qui participent au financement des mosquées mais cela ne suffit pas non plus. Il faut mettre en place une politique qui permettrait aux musulmans de France de bénéficier des sources de financement que je viens de citer. Un nouveau carré musulman va être inauguré prochainement le 5 juin, à Unieux dans la loire. Où en somme-nous en termes purement comptables, aujourd'hui, dans le nombre de carrés installés et en projet. Sont-ils bien reçus par la communauté musulmane ? Il n'existe aujourd'hui en France que trois cimetières et quelque 70 carrés musulmans (dont 25 en Ile de France) dans les cimetières communaux et intercommunautaires. Ce nombre est dérisoire. Depuis la mise en place du Conseil régional du culte musulman dans la région lyonnaise, nous avons ouvert une dizaine de carrés musulmans dans les divers départements de la région. Le 5 juin dernier, nous avons inauguré un carré musulman dans la ville d'Unieux près de St-Etienne. Dans les mois à venir, deux carrés musulmans à St-Priest et à Belleville près de Lyon seront inaugurés. Il y a une vraie demande. Enfin, dernier dossier de l'heure, la formation des imams. Le gouvernement français semble avancer sur cette question en liaison avec l'institut catholique et des universités. Pourquoi est-il urgent de former les imans en France ? La formation des imams est sans aucun doute le dossier le plus important, le plus compliqué et le plus sensible dans l'organisation du culte musulman en France, qui compte aujourd'hui la plus grande communauté musulmane d' Europe. Le nombre d'imams ayant suivi une formation d'imamat est très faible, à peine 350 imams sur les 1800 que compte la France. Le nombre d'imams autoproclamés est de fait extrêmement important. C'est ce qui pousse, d'ailleurs ,les jeunes à se tourner vers les « télé-muftis » de certaines chaînes satellitaires ou des sites internet qui regorgent de « cyber-fatwas » (fatwas en ligne) contradictoires (et donc source de confusion) émises par des imams vivant de l'autre côté de la planète et donc incapables de connaître les réalités économiques, sociales et politiques dans lesquelles vivent les musulmans de France. Il y a, aujourd'hui, en France, un réel besoin d'imams capables d'entreprendre un double travail : une interprétation profonde et précise des textes, ainsi qu'une analyse adéquate de la situation sociale, politique et économique à laquelle ils sont confrontés, bref une compétence des textes et du contexte. Nous avons appris récemment l'arrivée en France de 52 imams. Je dois avouer que l'Algérie, à travers le ministre M. Ghlamallah, a fait des efforts conséquents quant au choix de ces imams qui ont pratiquement tous suivi une formation universitaire qui leur confère des compétences intellectuelles et théologiques indiscutables. Malheureusement, très peu parmi eux parlent le français et auront donc peu d'influence sur les jeunes musulmans de France. A l'avenir, je pense que l'Algérie devrait exiger de ces imams la maîtrise de la langue française pour espérer pouvoir partir en France.