Une caravane de sensibilisation contre l'élection présidentielle est partie de Créteil pour une tournée dans plusieurs quartiers parisiens, surtout ceux accueillant des centres de vote. L'opération de vote pour l'élection présidentielle à l'étranger se poursuit laborieusement et dans une atmosphère aussi tendue que le premier jour, particulièrement en France. Dans la région parisienne (Paris, Bobigny, Nanterre, Créteil, etc.) et dans plusieurs villes de province (Marseille, Lyon, Saint-Etienne, Rennes, etc.), selon les témoignages que nous avons pu recueillir, les scènes sont presque les mêmes partout : quelques électeurs, qui arrivent à reculons et au compte-gouttes, se fraient un chemin péniblement parmi une foule compacte de manifestants anti-élection positionnés généralement à l'entrée des centres de vote. La démarche des hirakistes de la diaspora semble bien identifiée, en tout cas c'est que nous avons constaté au niveau du consulat de Créteil, où nous avons passé une bonne partie du deuxième jour de vote de l'immigration. Il s'agit surtout d'utiliser contre les électeurs potentiels, afin d'éventuellement les dissuader, et ceux ayant déjà glissé leur bulletin dans l'urne, dans le but de les donner en exemple, la force des slogans, tantôt bruts et cruels – «Harkis enfants de harkis !», «Vous avez trahi le pays !» «Vendus, honte à vous !» etc. – tantôt sarcastiques et ironiques – «Héros de la démocratie des rangers !» «Applaudissons les chiyatine !»… «Tout en restant très pacifiques et évitant les contacts physiques, nous voulons quand même leur faire comprendre que leur obstination à voter dans le contexte actuel est indigne d'un citoyen algérien libre et conscient de l'enjeu du scrutin présidentiel imposé par le pouvoir. Par ce genre de slogans, on leur fait comprendre également qu'ils font partie, consciemment ou inconsciemment, de tout un dispositif contre-révolutionnaire», explique Mohand Yacoub, militant et membre du collectif Libérons l'Algérie ! En plus des mots, les contestataires n'hésitent pas à recourir à une méthode plus radicale : la dénonciation publique des votants en les photographiant ou en les filmant, diffusant souvent les images en direct sur le réseau social Facebook. Alors pourquoi ce procédé offensif, voire offensant, provoquant parfois des réactions violentes de la part des personnes mises à leur insu sous le feu des projecteurs ? Un activiste, expliquant gentiment vouloir garder l'anonymat, son identité n'étant pas importante dans ce qu'il fait, défend ce genre d'initiative avec un savoureux arabe algérois, qui donnerait à peu près le discours suivant : «C'est notre façon, en tant que jeunes, de les faire se sentir honteux de voter car ils participent à la volonté du régime de casser la dynamique du hirak via de fausses élections, rejetées par la majorité écrasante des Algériens dans l'immigration mais surtout au pays. Nous répétons encore une fois : pas de vote avec la bande ! Qu'ils partent tous !» Ceci dit, au-delà de ces interpellations assez sèches, le dialogue n'était pas toujours absent. On en veut pour preuve des discussions, plutôt apaisées, entre des organisateurs du rassemblement contestataire et certains de nos compatriotes venus voter tout en étant plus réceptifs aux critiques. Quelques-uns ont même rebroussé chemin sans accomplir leur «devoir électoral», argument principal qu'ils utilisaient pour justifier leur choix de participer au scrutin. Un sexagénaire accompagnant son épouse et sa fille, qui auraient apparemment insisté pour aller voter en faveur d'un candidat par conviction partisane, est resté en dehors du bureau de vote avec les manifestants auxquels il a confié : "Moi, je ne voulais même pas venir, je ne veux pas voter. Mais il faut qu'on se respecte entre Algériens, et surtout qu'on accepte la volonté de ceux qui veulent exprimer leur voix en toute âme et conscience".» Alors que la majorité des votants, hommes et femmes, ne supportant pas les huées, répondaient par des provocations, des insultes ou des gestes obscènes aux protestataires qui les vilipendaient, un jeune électeur surexcité a tenté de poignarder des manifestants. Il a aussitôt été arrêté par la police. Contrairement à ce profil, un autre votant, la quarantaine, est resté calme à la sortie du bureau de vote, soulignant avec hésitation qu'il faut respecter sa liberté et trouvant utile de préciser qu'il avait voté «blanc». Remarquant que la moyenne d'âge des électeurs restait quand même très élevée, nous avons voulu comprendre ce qui motivait principalement ces chibanis ! «Je vote car j'aime mon pays et je veux que ça change pour le bien, même si je sais qu'il y a beaucoup de manquements», indique Mohammed S. Z., 73 ans, titubant en quittant la chancellerie cristolienne. Et de lâcher, après nos nombreuses relances : «Je sais que ce sont tous des voleurs, je sais qu'il faut passer le flambeau aux jeunes générations, mais nous, les anciens, n'avons pas trop le choix que de voter pour plusieurs raisons ! Par exemple, en 2014, dans ma commune d'origine en Algérie, on m'a demandé ma carte de vote pour pouvoir récupérer mon acte de naissance S12.» Tout est dit ! Au début d'après-midi, une caravane de sensibilisation contre l'élection présidentielle est partie de Créteil pour une tournée dans plusieurs quartiers parisiens, surtout ceux accueillant des centres de vote. Samir Ghezlaoui