La longue et éprouvante agonie du pape polonais Jean Paul II a pris fin, la nuit dernière, vers 21 h 37 (heure italienne), alors que des dizaines de milliers d'Italiens et de touristes priaient à la place Saint Pierre pour le souverain pontife. A l'annonce de la mort de Karol Wojtyla, la prière du rosaire s'est soudain transformée en prière du défunt, dirigée par le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d'Etat du Vatican. Bien qu'ils s'y attendaient depuis des semaines, l'annonce de la mort de l'un des papes les plus populaires de l'histoire de l'Eglise catholique est tombée comme un couperet pour plonger le milliard de chrétiens de par le monde dans un profond état d'affliction. Devant l'incroyable résistance de Jean-Paul II, dont les fonctions vitales et le métabolisme s'étaient sérieusement détériorées les dernières heures, Karol Wojtyla semblait s'attacher au fil menu de son existence terrestre. Les journalistes se rappelaient même, amusés, sa propre boutade sur son état de santé. Le pape avait lancé un jour, avec son habituel humour fin et caustique, "pour savoir comment je vais, je n'ai qu'à lire les journaux". Eh bien cette fois, le coeur du pape sportif et endurant a lâché, et les responsables du Vatican, par la voix du vicaire de Rome Camillo Ruini, ont dû annoncer la nouvelle que les catholiques du monde entier voulaient retarder jusqu'au bout. Les télévisions italiennes ont interrompu leur programme pour diffuser des éditions spéciales sur le décès du souverain pontife qui a dirigé l'Eglise catholique pendant plus de 26 ans. Tous les quotidiens italiens, même ceux de gauche, avaient consacré hier de nombreuses pages à la vie et l'hypothétique mort du pape. Même l'épineux problème de la succession a été abordé et toutes les possibilités passées en revue. Seuls le quotidien de l'Eglise L'Osservatore Romano et l'autre journal catholique Avvenire ont préféré ouvrir sur un gros titre qui appelait à la prière. Les envoyés spéciaux des chaînes de télévision et de radio ont passé une nuit blanche dans la salle de presse du Vatican, qui, d'ailleurs, n'a fermé que pour deux heures, hier au petit matin. Les plus laïques des présentateurs de journaux télévisés italiens ont lu pendant des heures une biographie interminable qui rappelait, des heures durant, le parcours exceptionnel et admiratif de Karol Wojtyla. Les interminables liaisons en direct, de la place Saint Pierre, ont offert aux téléspectateurs du monde entier la vue de journalistes aux traits tirés, yeux cernés, visage mal rasé, sans maquillage et la voix visiblement fatiguée. Déjà, hier, les Romains avaient l'air grave et triste en vaquant à leurs occupations quotidiennes, et craignaient la fatidique annonce de la mort de leur évêque qui n'avait toujours pas été annoncée. Accablés, les Italiens ont partagé leur tristesse avec les milliers de Polonais qui ont envahi les transports publics. Déjà, vendredi soir, des centaines de jeunes Polonais ont veillé jusqu'au matin leur concitoyen et pape, chantant et brandissant le drapeau de la Pologne. Des centaines de jeunes Italiens, communément appelés les Papa Boys, ont scandé, eux, sous les fenêtres de ses appartements, des slogans qui donnaient rendez-vous à Jean- Paul II, à Cologne (Allemagne), où se tiendront les prochaines journées mondiales de la jeunesse. Il a fallu qu'un émissaire du Vatican vienne leur demander de modérer leur ferveur, car le vacarme qu'ils produisaient incommodait les habitants de la Cité du Vatican. Ensuite un message qui aurait été voulu par le pape, et qui disait : "Je vous ai cherché et je vous ai trouvé" leur avait été affectueusement communiqué. Plusieurs personnalités italiennes ont manifesté, pour leur part, leur peine, et les autorités italiennes ont décidé d'annuler les festivités et autres manifestations culturelles et sportives, en signe de tristesse et de recueillement. A l'instar du milliard de chrétiens dans le monde, les Italiens se sentent orphelins de leur souverain pontife, qui aura été l'un des plus populaires de l'histoire de l'Eglise catholique. Les quelque 70 000 fidèles qui se sont déversés sur la place Saint Pierre, vendredi soir, y ont pour la plupart passé une grande partie de la nuit, et se sont relayés jusque tard dans la nuit d'hier. Le président du Conseil italien a déclaré que : "Jean Paul II aura marqué l'histoire" et "son calvaire physique équivaut à sa grandeur morale", a encore estimé Silvio Berlusconi. Pour sa part, le chef de l'Etat italien, Carlo Azeglio Ciampi, a raconté que pour prendre des décisions particulièrement délicates, il s'était habitué à demander conseil au pape, qu'il appelait tout simplement par son nom, Karol. Pour le sénateur à vie et ancien chef de gouvernement, Giulio Andreotti, Jean-Paul II aura été "le plus innovateur et le plus courageux des papes". Même le chef de file des communistes italiens Fausto Bertinotti, a affirmé qu'il attribuait au pape le mérite historique d'avoir été "un rempart qui a empêché que la guerre préventive de Bush se transforme en conflits entre les civilisations". Enfin, les analystes du Vatican, avancent la thèse selon laquelle Karol Wojtyla aurait peut-être exprimé, dans son testament spirituel, sa volonté d'être enterré dans sa terre natale, la Pologne, à laquelle il est resté attaché toute sa vie. "Cela aurait été dans la logique de sa pensée, et pour rehausser le prestige de son pays d'origine qui deviendra sans doute la destination de millions de catholiques désireux de se recueillir sur sa tombe", a expliqué un historien spécialiste de la biographie de Jean Paul II.