Il est des moments où la mort est une invitation à la vie, à concevoir l'avenir avec confiance et sérénité. L'hommage unanime rendu à Idir, décédé avant-hier, montre que les génies créateurs, quand ils cessent de vivre et de produire, permettent à leur société de renaître, à leur culture de connaître un plus grand rayonnement dans le monde. L'œuvre était un répertoire de chansons, le legs est un passeport pour l'universalité, la consécration pour l'éternité d'une voix née dans une colline que l'on croyait oubliée, mais qui, encore une fois, administre une leçon d'authenticité et de générosité au monde, par-delà les continents et les identités. Chez les hommes de culture de cette dimension, la mort n'est qu'une séquence d'un parcours qui ne se termine jamais. Mouloud Mammeri qui, à partir de ces mêmes reliefs tourmentés de la Kabylie profonde, a marqué la pensée universelle de son empreinte apaisée et savante. La disparition de l'homme n'est que le début d'une réflexion sur la portée d'une œuvre qui a réinventé la modernité dans le folklore, la créativité dans le patrimoine traditionnel. Les études qui vont se multiplier tenteront d'expliquer les ressorts d'une création artistique qui a uni les générations et recueilli une égale reconnaissance sous toutes les latitudes et dépassé les contingences d'un monde en perpétuel bouleversement. Un consensus sans précédent dans les milieux les plus divers et auprès des voix qui comptent le plus dans toutes les strates de la société. Idir est une sublimation de la lutte identitaire, le choix du travail et de la création pour donner une éclatante visibilité et offrir une consécration universelle à un patrimoine culturel que ne pouvait pas condamner un ostracisme officiel et dérisoire. Avec l'immense dramaturge et poète Mohya, la preuve est encore une fois donnée sur l'impact historique d'un travail accompli dans la discrétion, parfois dans l'exil. Les pas les plus décisifs dans la réhabilitation de la culture et de l'identité amazighes ont été le fait de personnalités qui ont abhorré les feux de la rampe et les réactions exacerbées. Le sens de la mesure, allié à la détermination et au travail soutenu, est l'une des leçons à retenir de la vie de l'enfant d'Ath Lahcène, à Ath Yenni. C'est paradoxalement à l'occasion de certains enterrements que la société prend conscience de sa richesse civilisationnelle et redécouvre ses repères les plus immuables. L'homme disparaît mais le projet de société, inspiré d'un vécu millénaire, renaît et se revivifie. Le défi pour les générations futures est de ne pas en altérer le message de progrès et de modernité, d'ouverture sur les cultures du monde et les valeurs de démocratie et d'acceptation de l'autre.