Après les cafés, les restaurants, les hôtels et les mosquées, ce sont les crèches, les librairies, les salles de lecture et les musées qui ont rouvert à leur tour la semaine dernière. Dans le sillage de ces nouvelles mesures pour un déconfinement progressif, il est désormais possible aussi de se faire établir un acte de mariage auprès des services de l'état civil, après une suspension qui aura duré presque deux mois. Si les projets de mariage sont ainsi libérés, les salles des fêtes, par contre, ne le sont pas encore. Dans la wilaya de Béjaïa, quelque 65 salles des fêtes entament leur sixième mois de fermeture sans grand espoir de pouvoir reprendre au moment où se termine la saison des fêtes et des noces. La précision du dernier communiqué du Premier ministère du «maintien du confinement pour tous les rassemblements et rencontres familiales, particulièrement les fêtes de mariage et de circoncision», les enfonce dans leur déception. «Monsieur le Président, nous sommes à bout ! Notre activité qui nourrit des milliers de bouches ne peut être sacrifiée et nos établissements poussés à la faillite ! Avec votre aide, notre travail pourra reprendre, encadré et soumis aux protocoles sanitaires en vigueur dans un effort d'adaptation tout à fait réaliste et maitrisable». Le cri de détresse vient d'une vingtaine d'exploitants de salles des fêtes, de différentes communes de la wilaya de Béjaïa, constitués en un «collectif de consultation et concertation» qui pourrait se transformer en un syndicat. Ils se sont organisés dans l'urgence pour attirer l'attention des autorités sur la situation qui fait d'eux les derniers des confinés. Ils écrivent au chef de l'Etat pour réclamer qu'on leur vienne«en aide face au désastre qui frappe (leur) activité professionnelle depuis que la pandémie du Covid-19 (les) a réduits à l'arrêt total». En juillet, une rencontre avec le wali n'avait permis qu'à faire des propositions d'ouverture avec respect d'un protocole sanitaire et à espérer qu'on leur prête attention. «Nous souhaitons reprendre nos activités dans le respect le plus stricte des règles et normes de prévention, protection et sécurité sanitaire souhaitées» avait proposé le collectif. Il avait préconisé de ne reprendre qu'avec 60% des capacités de chacun des établissements, avec limitation du temps de la fête et réduction du temps de l'animation et du personnel, l'interdiction d'admission des enfants et des personnes à la santé fragile, en plus de la mise en place de toute une suite de mesures de prévention. Les propositions du collectif, qui s'est abstenu d'exercer une pression sur les pouvoirs publics, sont restées sans suite. Rembourser les clients La vingtaine de signataires évaluent le préjudice financier à 700 millions de centimes par établissement, cumulé le long de la fermeture depuis le 16 mars dernier. Dans deux semaines, cela fera six mois piles qu'ils chôment. «Soumis à la comptabilité publique, nos établissements sont classés légalement comme filière commerciale moderne générant ressources économiques, plus-value socioculturelle et impôts à l'Etat» écrivent-ils, soulignant le lourd investissement engagé qui va jusqu'à cinq milliards de centimes par établissement et qui pèse en ces temps de confinement. En plus des différentes charges sociales qui courent toujours, leur fermeture a coûté la mise à l'arrêt de leur personnel et de toute la chaîne d'emploi indirects qui impliquent traiteurs, animateurs, cuisiniers, serveurs et autres prestataires de services. «Toute cette population active a rejoint le chômage et le monde de la précarité sociale» alerte le groupe d'exploitants. Ce confinement obligatoire a généré un autre problème en parallèle. Des dizaines, voire des centaines de citoyens ont réservé pour organiser leurs fêtes avant que ne tombe la décision de fermeture. Beaucoup exigent d'être remboursés. «Avec quoi pourrons-nous rembourser tout le monde? Nous avons dépensé les acomptes et nous n'avons réalisé aucune rentrée d'argent depuis six mois ?» nous dit Fahim Ziani, exploitant d'une salle des fêtes dans la ville de Béjaïa, et porte-parole du collectif. «L'Etat doit nous indemniser pour qu'on puisse au moins rembourser tout le monde, au lieu de laisser les citoyens se quereller entre eux» réclame-t-il. Des conflits sont nés entre certains exploitants et leurs clients dont ceux qui, en annulant leur réservation, exigent qu'on leur rembourse leurs avances. Le collectif d'exploitants avait convenu que tout remboursement, pour cause d'annulation, ne pourrait se faire que progressivement et quatre mois après la reprise des activités «avec la retenue de 10 000 dinars sur la somme versée». Ce qui n'a pas été du gôut des clients qui se sont plaints auprès des services de la DCP. Il en est ressorti l'engagement de rembourser dès réouverture et sans la retenue. «On veut faire croire que nous détroussons les gens, alors que dès le début de la saison on a pensé aux clients et à la possibilité de les rembourser malgré le fait que cela ne soit pas prévu dans le contrat», précise Fahim Ziani. Fêtes dans les quartiers À la reprise, les salles des fêtes devront gérer, en plus des remboursements, les conséquences du chamboulement du programme que la pandémie a imposé avec les nombreux reports et les changements de dates. Mais selon notre interlocuteur, la reprise ne saurait se faire qu'une quinzaine de jours aprés le quitus du gouvernement. Il faut dire cependant que la reprise est celle des salles et non celle des fêtes qui, elles, n'ont pas vraiment cessé, bien que visiblement leur nombre est réduit. Des couples ont convolé en justes noces pendant cette pandémie, avec musique, convives, cortèges et risque d'une contamination en masse. «Nous pouvons pourtant être la solution pour éviter cela, puisque nous organiserons des cérémonies contrôlées» assure Fahim Ziani. «Monsieur le Président, la fermeture de nos établissements n'a pas empêché la tenue des fêtes dans les quartiers et les villages dans des conditions de confinement et de promiscuité favorables à la propagation rapide du virus Covid 19, sans que les institutions de l''Etat aient pu intervenir. Nos salles de fêtes, par contre, sont des espaces ouverts qui offrent l'opportunité à l'Etat d'intervenir pour assister et surveiller à tout moment le respect des protocoles sanitaires officiels» écrit, pour rassurer, le collectif de la vingtaine d'exploitants. «On ne cherche pas à faire pression, on veut juste pouvoir reprendre dans un cadre légal. On est conscient de la crise» nous dit Fahim Ziani dont l'établissement a eu à accueillir, au début de l'épidémie, des SDF de la ville, hébergés et nourris durant deux semaines avec la collaboration de plusieurs parties et l'autorisation des mêmes autorités que l'on interpelle aujourd'hui pour qu'elle renouvelle la même confiance.