Déjà parmi les plus maigres en Afrique, pour ne pas dire au monde, moins de 2 milliards de dollars, bon an mal an, les arrivées de fonds internationaux en Algérie, comme partout ailleurs dans les pays en développement surtout, devraient, cette année, se contracter considérablement du fait de l'impact de la crise sanitaire mondiale Covid 19. Outre l'instauration de mesures de confinement strict, le ralentissement des activités économiques dans plusieurs pays (France, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Canada, USA. etc.,) où est établie une bonne partie de la diaspora algérienne, le taux de change, de moins en moins rémunérateur sur le marché noir ainsi que la perturbation des opérations des prestataires de services de transfert en sont, certes, les principales causes. Mais il y a d'autres raisons, apparemment plus profondes, à l'origine de la «frilosité» manifeste et persistante de nos compatriotes lorsqu'il s'agit d'envois d'argent et qui ne représentent, pourtant, qu'environ 15% de leurs revenus. 7 millions d'algériens vivent à l'étranger En effet, pour notre diaspora à l'étranger, plus de 7 millions de personnes en 2018, selon l'Association internationale de la diaspora algérienne (AIDA), basée à Londres, ce ne sont, semble-t-il, pas les «réalisations» en matière économique et politique pendant les 20 ans de règne de Bouteflika et celles d'après qui risqueraient, également, de la pousser à se montrer plus généreuse à l'égard de son pays. Le pic de solidarité, financièrement parlant, attendu des compatriotes expatriés, dont 90% en Europe occidentale, demeure un vœu pieux. Le volume des transferts de fonds à destination de l'Algérie, qui plus est, figure dans le top 20 des régions considérées par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) comme étant les plus grandes pourvoyeuses de migrants au monde, jusque-là réalisé en est un parfait indicateur : 1,5 et 2 milliards de dollars/an en moyenne, seuil, paradoxalement, très insignifiant comparativement à ce que reçoivent nombre de voisins immédiats ou lointains. Et, malgré le grand et pressant besoin du pays en ressources extérieures, exacerbé par la crise socioéconomique et la pandémie Covid-19, les arrivées de devises étrangères, pesant à peine 1,1% du Produit intérieur brut (PIB), pourraient se contracter en 2020 et 2021 pour atteindre 1,643 milliard de dollars, d'après les estimations de la Banque mondiale. Dans un document, publié il y a quelques jours, cette dernière notera, en outre, qu'entre 2017 et 2019, le niveau des envois de nos migrants, 1,8 milliard de dollars, s'était particulièrement stabilisé. Toutefois, après le «record» de générosité de 2004 (2,45 milliards), nos travailleurs expatriés ont, au fil des années, préféré garder leur argent ; 1,997 milliard de dollars en 2015 et 1,989 milliard en 2016. Ainsi, notre communauté émigrée qui demeure paradoxalement très attachée à sa patrie conditionne la mobilisation de ses compétences et de son argent au service du développement du pays par une rupture totale avec le régime, en place depuis bien des lustres. Et elle l'a laissé entendre plus d'une fois et depuis plus d'une tribune, particulièrement depuis le très controversé 4e mandat du Président déchu. A cet égard, l'on se rappelle, à titre d'exemple, que dans un message adressé à John Kerry par plusieurs centaines d'intellectuels vivant aux Etats-Unis, l'ex-Secrétaire d'Etat américain a été exhorté à éviter que sa visite (début avril 2014) ne soit assimilée à caution pour Bouteflika et les partisans du 4e mandat. Au Canada, où vivent plus de 100 000 Algériens, la colère envers le pouvoir qui cherche à se maintenir, quelqu'en soit le prix à payer, était tout aussi sonnante. Un régime décrié Par ailleurs, d'autres intellectuels (médecins, chefs d'entreprise, juristes et universitaires), établis dans la Confédération suisse, tentent, pour leur part, d'expliquer leur réticence à envoyer plus d'argent vers le pays «...Nous ne pourrons jamais investir de notre confiance le régime qui n'est toujours pas près de partir. Les Algériens de Suisse sont très tristes et peinés par le manque de décence intellectuelle de l'élite algéroise d'Hydra et par les comportements immoraux de la nouvelle bourgeoisie qui la soutient financièrement.» Nos interlocuteurs se disent, en outre, exaspérés par «la présence des PEP (Personnes politiquement exposées) algériens corrompus qui s'installent en Suisse avec l'argent du peuple, avec l'argent qu'on envoie au pays. Où en sont les promesses de nos officiels concernant le remboursement des clients immigrés spoliés de Khalifa Bank ?», scandalisés par «la désignation de gens impliqués dans les affaires de corruption internationale (Sonatrach, Khalifa Bank, et autoroute Est-Ouest), qui plus est en fuite, dans des postes politiques officiels et officieux pour veiller à leurs intérêts», indignés par «la position curieuse du gouvernement suisse à l'égard des Algériens». D'un côté, «la chasse aux clandestins (harraga) se poursuit, s'intensifie et s'organise avec un certain zèle – en témoigne le nombre d'Algériens harraga dans les prisons suisses». De l'autre, «pour les fils des corrompus des PEP algériens, il y a une complaisance manifeste de la part des autorités suisses. On voit dans des boîtes de nuit, des restaurants de luxe ou dans l'achat d'immobilier de luxe, les fils à papa d'Hydra qui tentent de faire la concurrence aux fils des princes du Golfe». Au final, «les membres de notre communauté se sentent éloignés des basses manœuvres politiciennes, mais se préoccupent vivement pour la paix et la prospérité de l'Algérie.» La désillusion est tout aussi criante chez nos immigrés du Royaume-Uni, plusieurs dizaines de milliers entre réguliers et non réguliers, soit la troisième plus large communauté d'Algériens à l'étranger, après celle de France et d'Espagne et devant celle du Canada, dont le plus gros vit à Londres et dans le sud-est de l'Angleterre. Certains d'entre eux, membres de Algeria Solidarity Campaign (ASC), Organisation politique basée à Londres, ont gardé intactes l'intensité et la fermeté de leur appel à poursuivre et à accentuer la mobilisation, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, «le temps de l'égoïsme et de la léthargie est révolu. Place à la solidarité et au sacrifice. Sans ces deux-là, il n'y aura pas de changement positif. Ceci est notre responsabilité à nous tous Algériens» pour barrer la route à tous partisans de la «chkara-cratie» et en finir avec le régime «qui se maintient grâce à la rente, au clientélisme, à la force policière et au soutien des capitales occidentales, notamment Paris, Washington, Londres, Moscou, etc., moyennant la distribution opaque de gros contrats dans les hydrocarbures, et bien d'autres secteurs de l'économie nationale». D'autres intellectuels : «Le pays a certes besoin de nous, de notre solidarité, toutes formes confondues, mais avec un régime qui fait passer ses intérêts avant ceux de tout un peuple, plus aucune confiance. Ce même régime, qui a créé et utilisé la banque Khalifa, la machine à blanchir l'argent sale de ses dignitaires et à voler les économies des Algériens, pour redorer son image qui s'était terriblement ternie au cours de la guerre civile.» C'est dire que, décidément, le chemin s'avère encore très long et laborieux avant que l'Algérie soit en mesure de retenir les cerveaux qui projettent de s'exiler, de faire revenir ceux déjà partis, de tirer profit de leurs compétences ou de leur argent. Dit autrement, voir le «brain drain» se transformer en «brain gain» n'est, certainement, pas pour demain ! Advertisements