Le célèbre acteur franco-britannique, Michael Lonsdale, né le 24 mai 1931 dans le 16e arrondissement de Paris, est décédé dans cette même ville le 21 septembre 2020. Le pianiste Patrick Sheyder, son ami concepteur de spectacles sur le thème de la biodiversité et auteur d'ouvrages sur les relations entre l'homme, la nature et l'art, nous livre un témoignage inédit, notamment sur la relation de Lonsdale à l'Algérie. Propos recueillis à Paris par Hafid Adnani*
-Parlez-nous de votre rencontre avec Michael Lonsdale… Ma rencontre avec Michael, c'était en 2003, dans la ville du Mans où j'organisais alors un Festival musical. Tout de suite, nous avons parlé de spiritualité, mais aussi de surréalisme et de sa collaboration au long cours avec Marguerite Duras… Dès la semaine suivante, nous nous retrouvions en bas de chez lui, au Café le Vauban, qui était son «quartier général». Pendant deux heures, nous avons parlé de la notion de confiance, selon la foi. La confiance pour moi, c'est le préalable à l'amour de la vie. -Comment en êtes-vous arrivé à ce voyage en Algérie en forme de tournée dans le cadre de votre spectacle Des jardins et des hommes ? Nous avons fait une tournée en Algérie en avril 2018 sur les grandes villes, Constantine d'abord, puis Alger, Tipasa, Tlemcen, Annaba… J'admire le film Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois, qui raconte le drame des moines de Tibhirine. J'étais frappé que Michael ne connaisse pas le vrai monastère en Algérie, car le film a été tourné au Maroc, dans l'ex-monastère de Toumliline. Vu l'importance du rôle de «frère Luc» dans la vie artistique et personnelle de Michael, je vivais cela comme une sorte d'injustice ou d'anomalie. J'ai fait des pieds et des mains pour rendre ce voyage-pèlerinage possible, et l'Institut français d'Alger a bien voulu nous aider à réaliser ce rêve... -L'Algérie, dans la vie de Michael Lonsdale, ce n'est pas seulement le film de Xavier Beauvois sorti en 2010… L'Algérie était pour Michael un thème central, tout comme le Maroc où il a passé presque 10 ans avec ses parents, pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour l'Algérie, la mère de Michael avait vécu toute sa jeunesse dans la propriété viticole de Draria, près d'Alger. C'étaient de riches colons. Le grand-père de Michael était tout droit sorti du XIXe siècle, hypocondriaque, rigide, hanté par la légitimité de sa filiation, car c'était un enfant naturel… La maman de Michael était tout pour son fils. Michael a appris à aimer l'Algérie à travers les yeux et la sensibilité de cette femme, qui parlait l'arabe, et était, me disait-il, très proche des ouvriers de la propriété. -Il s'est d'ailleurs même rendu à Tibhirine pour rendre hommage aux moines et s'est recueilli sur la tombe de «frère Luc»… Puis il a donné lecture du testament de «frère Christian»… Nous avons passé à Tibhirine une journée fabuleuse, proprement inoubliable. C'était la découverte que Tibhirine appartienne à la mémoire des Algériens, quelle que soit leur confession. On faisait la queue cette après-midi-là pour visiter le monastère, acheter les produits qui y étaient confectionnés ; miel, confitures... Malgré leur destin tragique, j'ai compris que les moines avaient réussi leur pari : faire que le sacrifice de leur vie ne soit pas vain. Il régnait une grande sérénité et aucune tristesse. Nous sommes allés sur la tombe de frère Luc. Michael s'est adressé à lui en disant : «Eh bien, mon cher ami, maintenant tu as rejoint le Père, que tu souhaitais tant connaître, dans la paix de Jésus.» Il a lu le testament spirituel de Christian de Chergé, et au moment de partir, nous venions juste de visiter l'ancienne cellule de frère Luc. Nous sortons sur le pas de la porte et… une femme de 50 ans environ se précipite vers nous, avec sa fille qui avait dans les 30 ans. Bonjour Mesdames, dit Michael, de sa voix calme et grave. Monsieur, dit la dame, je vous présente ma fille. Michael fait un léger signe de tête. Eh bien, nous voulions vous remercier Monsieur, pour «frère Luc». C'est lui qui a guéri ma fille quand elle était malade. La jeune fille était très émue. J'ai alors compris que pour nombre d'Algériens, Michael était une sorte d'incarnation du moine, et c'était vrai, car dans ce film, Michael ne jouait quasiment pas un rôle... il se sentait tellement proche de «frère Luc»... Une scène analogue de remerciements s'est produite le lendemain, quand nous avons diffusé Des Homme et des Dieux à l'Institut français d'Alger...Une véritable histoire d'amour entre Michael et l'Algérie. -Que gardez-vous de ce voyage qui a dû vous rapprocher davantage de lui ? De l'Algérie également ? Le lien réel entre Michael et l'Afrique du Nord. Jusqu'alors, c'étaient des histoires de famille que Michael me racontait tout au long de nos très fréquents voyages. Là, c'était le vrai, c'était l'humanité. Je suis redevable à Michael de m'avoir fait vivre cette réalité chaleureuse, authentique et vivante. Ces huit jours en Algérie furent inoubliables. -Dans Des jardins et des hommes(1) livre à quatre mains (une seule servant à écrire, en général, car vous étiez quatre) auquel vous avez participé en 2016, Michael Lonsdale écrit «L'au-delà, je le vois comme un jardin plein de musique, un jardin où l'on chante.» Voici une phrase qui rapproche le pianiste que vous êtes, à nouveau de lui, même dans l'au-delà qu'il a rejoint récemment… Oui, la musique était essentielle pour Michael. Sa mère jouait d'ailleurs du piano, elle avait été élève d'Alfred Cortot et de Magda Tagliaferro. Il avait un amour particulier pour le piano. Quand nous avons joué dans la basilique Saint-Augustin de Annaba, un habitant de Béjaïa nous a filmés. On le voit goûter chaque note de Bach, comme des paroles qu'il chérissait. Pour lui, la musique était une langue qu'il comprenait. Elle l'aidait à vivre tout comme la peinture qu'il pratiquait. Mais pour lui la musique se rapproche de cette idée de Paradis que vous citez. Je pense qu'elle était le charme spirituel et sensuel auquel il pouvait enfin s'abandonner. Vous continuez à interroger la nature et notre rapport à elle, à travers votre nouveau livre Pour une pensée écologique positive(2) que vous signez seul, mais tout de même avec la participation de Allain Bougrain Dubourg, Boris Cyrulnik, Francis Hallé et Benjamin Stora… C'est «une balade philosophique et écologique à travers les siècles pour atteindre la sagesse, qui n'est rien d'autre que l'harmonie retrouvée avec la nature». Il est sorti le 14 octobre 2020, peu après le décès de Michael Lonsdale, comme un hommage à cette harmonie qu'il a toujours appelée de ses vœux… Michael était sensible à la nature, mais avec nos spectacles Des Jardins et des Hommes, sur le thème de la biodiversité, il était devenu un «activiste», doux, certes, mais sincère de la cause climatique. Il disait avec une réelle passion un texte de George Sand qui a permis de sauver la forêt de Fontainebleau de l'abattage en 1872, et aussi un texte du chef indien Seattle dans les mêmes années, qui est une protestation contre l'abattage des bisons par les blancs. J'ai écrit Pour une pensée écologique positive en pensant en effet que l'humain doit rechercher l'harmonie avec la nature. L'éveil à l'écologie se fait avec la société et non contre elle. La révolution des consciences se fera en redéfinissant un socle commun de valeurs, selon lesquelles la nature a un statut d'être vivant qui ne doit pas uniquement être exploité. La terre réagit, elle nous parle par le truchement de collaborations, mais aussi de rapports de force qu'il nous faut analyser et comprendre. Sans quoi, nous disparaîtrons. L'humain n'est pas fini comme créature vivante, il est en redéfinition permanente. -Que fait la question de la colonisation en général et celle de l'Algérie en particulier (qui explique la participation de Benjamin Stora que vous interviewez) dans un livre sur la pensée écologique ? La colonisation est par essence une mauvaise voie. Sur terre, en remontant l'histoire, il est probable que tous les peuples aient été tour à tour colonisateurs et colonisés. Les Français, par exemple, colonisés par les Romains, les Francs... Pour ceux qui sont obnubilés par une supposée «pureté» française, je dis qu'il faut réfléchir au fait que nous ne nous appelons pas les «Gauloisiens» mais… les Français, avec la racine «Franc» ! La colonisation se résume toujours à une prédation, à prendre à l'autre et l'exploiter. C'est aussi ce qu'on a fait avec la terre, on l'a colonisée, exploitée, puis épuisée. C'est le destin de toute colonisation de manger ce qui appartient à l'Autre, jusqu'à terme, se dévorer elle-même. Si l'humain doit évoluer, ce sera en sortant de ces schémas. Il y va de sa survie. Actuellement, en France, il y a un mouvement intéressant, l'«écoféminisme». Des femmes font le rapprochement entre la fin de la domination de l'homme sur la femme et la fin de la domination de l'homme sur la terre. Je crois qu'elles ont raison !
*Hafid Adnani est né en Algérie. Agrégé de mathématiques, ancien élève du lycée Louis-le-Grand de Paris, cadre supérieur de l'éducation nationale, il est journaliste de presse écrite radio et de télévision et doctorant en anthropologie au Laboratoire d'anthropologie sociale du Collège de France où il travaille sur les élites «indigènes». Il est également l'auteur de Tassadite Yacine avec Mouloud Mammeri aux éditions NonLieu/La croisée des chemins (France/Maroc) – 2018. 1)- Des jardins et des hommes. Editions Bayard. 2016 2)- Pour une pensée écologique positive. Editions Belin. octobre 2020 Advertisements