A son retour d'Allemagne, le président de la République désignerait un nouveau gouvernement, probablement même un autre Premier ministre. Ce serait un non-événement s'il se limite à des évictions de ministres ayant failli ou à des rotations entre postes ministériels, exercice classique prisé par tout chef d'Etat en difficulté, poussé à faire «sauter des fusibles» ou donner à sa population l'illusion du changement. Mais ce qui est attendu de Abdelmadjid Tebboune, c'est tout autre chose, une nouvelle vision politique dans laquelle le remaniement ministériel ne serait qu'une étape. Pour ce faire, naturellement, il faut d'abord qu'il en soit lui-même profondément convaincu et qu'il l'annonce solennellement à son peuple en forte attente de changement. Jusqu'à présent, il faut dire qu'il y a eu très peu de déclarations en ce sens, des bribes seulement, voire quelques promesses. Dès la reprise de ses activités, le président de la République doit agir vite et fort pour ouvrir le champ politique à l'ensemble des forces qui le composent. Jusque-là, cette ouverture n'a été conçue, au début de son mandat, qu'en direction de la «société civile». Or, la société civile ne sert que de courroie de transmission entre les citoyens, les pouvoirs publics et les représentants des formations politiques, elle ne bâtit pas la démocratie. Celle-ci ne peut être que le fait des élus des partis habilités à donner vie et légitimité aux grandes institutions représentatives lorsque, bien sûr, ces élus sont authentiques, c'est-à-dire issus de scrutins «propres et honnêtes», pour reprendre la formule consacrée. On sait exactement aujourd'hui, avec les procès des dignitaires de l'ancien régime, corrompus et corrupteurs, pourquoi l'Algérie a sombré dans la déchéance politique : l'ex-président de la République finançait ses campagnes électorales avec l'argent d'hommes d'affaires qu'il récompensait par des mandats électoraux ou des facilités et aides de l'Etat en toutes natures. Les Assemblées élues ont fini par devenir des caisses de résonance du pouvoir ; pire, des repaires de bandits. Comme des élections législatives et locales sont annoncées, il s'agit de savoir si la leçon a été tirée, en d'autres termes, s'il y aura des votes au-dessus de tout soupçon qui verraient la participation de l'ensemble des formations politiques remplissant les critères légaux d'une nouvelle loi électorale, qui ne devrait exclure aucune sensibilité politique. L'innovation que devrait incorporer le chef de l'Etat est l'introduction du hirak dans le jeu politique, selon la forme que celui-ci choisira. De lui-même, le hirak s'est imposé comme un acteur politique majeur, puisqu'il a renversé un régime politique des plus féroces. En même temps, il est porteur d'un nouveau projet de société, voire d'une vision civilisationnelle pour l'Algérie. Pour cela, il a sa place dans les institutions élues du pays par le biais d'élections si – il faut le rappeler – celles-ci seront transparentes et loyales. S'il veut faire œuvre utile, Abdelmadjid Tebboune doit lui permettre de franchir la première étape, celle de la visibilité sur le champ politique, celle-ci ayant malheureusement été contrariée par la répression et la diabolisation. Les conditions doivent être réunies pour que, rapidement, le hirak occupe le paysage politique, après avoir, une année durant, investi l'espace public. S'il réussit à dresser une passerelle avec le hirak, le chef de l'Etat gommera le bilan négatif de sa première année de règne, en même temps qu'il donnera enfin aux Algériens la possibilité de prendre en main leur destin et d'avoir de l'espoir. Advertisements