Le monde de la presse est dubitatif, ne sachant pas si l'éviction de Ammar Belhimer, le ministre de la Communication, est liée à ses problèmes personnels ou bien résulte d'un mécontentement du président de la République à l'égard de sa stratégie vis-à-vis du secteur. Comme d'habitude, la présidence de la République s'est murée dans le silence, ce qui a laissé place à divers commentaires sur les réseaux sociaux, en attendant, peut-être, qu'interviennent des points de vue officiels, le plus attendu étant celui du principal concerné. Le sort qui sera réservé au nouveau projet de loi sur l'information, qui porte l'empreinte de Ammar Belhimer, sera également un indice intéressant. Si le chef de l'Etat décide de le revoir, cela signifiera un désaccord profond sur son contenu et ce sera au successeur de rectifier le tir. C'est au demeurant ce qu'attendent les professionnels des médias, mécontents que la mouture de Ammar Belhimer n'ait pas pris en charge toute la complexité et la diversité des problèmes du secteur, autant que les préoccupations socioprofessionnelles des milliers de travailleurs qui y exercent. De Mohamed Bouslimani, il est attendu en premier lieu qu'il établisse des ponts avec eux afin que toute révision des textes se fasse dans la plus large concertation. Et puis également qu'il prenne des mesures urgentes pour lever les multiples blocages qui paralysent la vie des médias, toutes catégories confondues. On ne sait si le nouveau ministre aura son mot à dire sur les restrictions des libertés d'action des journalistes qui ont conduit nombre d'entre eux en prison et devant la justice. Son prédécesseur avouait, en privé, que ce dossier le dépassait. Peut-être. Et si tel est le cas, à quoi sert un ministre de la Communication auquel on ôte sa principale prérogative qui est la défense de l'exercice du métier d'informer ? Au-delà des personnes, le débat est de fond, il renvoie à la nature du régime politique. Lorsque Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement, à la fin des années 1980, décida de supprimer le ministère de l'Information, il était convaincu que les conditions politiques étaient réunies pour que le journalisme s'exerce librement, que chaque média et chaque journaliste n'avaient à rendre compte qu'à leur conscience et à la loi. Nul besoin d'un ministère pour régenter le métier d'informer, cette idée ne dura qu'un temps. Très vite, ses successeurs revinrent à l'ancienne formule, effrayés à l'idée de laisser les médias évoluer sans gendarme. Et depuis des décennies, le ministère de l'Information est sommé de rejouer ce rôle, mais jamais sans réelle marge de manœuvre, spécialement lorsqu'il s'agit de liberté d'expression. Lorsqu'un ministre de l'Information tente une initiative personnelle, il est vite rappelé à l'ordre ou bien carrément dégommé ; citons Abdelaziz Rahabi qui, ministre en son temps, plaida pour une meilleure autonomie des médias, ce qui suscita le courroux de Bouteflika, partisan du verrouillage. On en est là en 2021 : à côté d'une pléthore de médias publics, sous total contrôle, financés par le Trésor public, destinés uniquement à relayer le discours officiel, coexiste un marais de médias privés, tous supports confondus, dont l'écrasante majorité est livrée à elle-même, au public aléatoire, voire inexistant, des médias contraints, généralement, de tirer leurs ressources de recettes publicitaires gérées, sous condition politique, par un organisme d'Etat. Comme aucune volonté politique ne se manifeste dans le sens de la liberté d'expression et du désengagement politique des institutions étatiques, il est illusoire d'espérer un quelconque sauvetage de cette presse sur laquelle plane le spectre de la disparition du peu qu'elle a produit, malgré tout, de bon et de bien, ces dernières décennies.