Même s'il a eu des déboires avec les pouvoirs qui se sont succédé ces dix dernières années, Mouloud Hamrouche a cette particularité qu'il ne fait pas de « l'opposition pour de l'opposition ». Il réserve ses rares sorties politiques, à des moments délicats de la vie politique et économique, généralement pour adresser des messages bien précis aux décideurs : blanchi sous le harnais, il connaît parfaitement le système, les clans et les hommes, et son jugement est généralement écouté. Cette fois-ci, son diagnostic porte sur l'économie et il est n'est pas tendre. « En Algérie, dit-il, tout se déroule en dehors de la loi, le gros des affaires se traite à la lisière du légal, le contrôle bureaucratique est total, le champ économique est bloqué, l'abus fait office de régulation sociale, le pays est hors réforme. » Mouloud Hamrouche n'a pas mâché ses mots sur le naufrage de l'économie algérienne qu'il impute à des errements et des blocages d'ordre politique, économique et juridico-technique. S'il a décidé de rompre le long silence qu'il s'est imposé depuis plus d'une année, c'est certainement qu'il a jugé que la situation est grave. Sera-t-il écouté ? Difficile de le croire tant le système a changé, ne fonctionnant plus comme aux temps passés, où la décision était diluée dans divers centres de pouvoir qui pouvaient influer les uns sur les autres, se neutraliser ou décider d'un compromis salvateur pour tous. Aujourd'hui, l'armée, hier la plus influente, n'a plus un rôle politique décisionnel, et les clans traditionnels basés sur les liens tribaux et régionaux ont perdu du poids au profit de la présidence de la République, qui a réussi à « fédérer » beaucoup d'entre eux, généralement sur des bases d'intérêts. La seule autorité réellement détentrice d'autorité est le chef de l'Etat, et c'est elle que doit convaincre Mouloud Hamrouche, si celui-ci est bien décidé à s'engager dans la bataille politique d'une manière frontale et permanente. Les liens que ce dernier a tissés avec Bouteflika remontent à Boumediene. Ils ne paraissent pas suffisants pour que son message d'alerte soit entendu par lui, d'autant que règne une tout autre ambiance : l'Algérie, assène-t-on volontiers en haut lieu, est en voie de redressement et le programme quinquennal de relance va définitivement impulser le décollage de l'économie algérienne. Euphorique, le discours officiel tient lieu de vérité absolue. Le CNES, qui n'a pas partagé cette atmosphère, a subi de fortes pressions gouvernementales, amenant son président à démissionner. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM), avec les règles d'usage, n'ont pas arrêté de critiquer les lenteurs des réformes, le manque de transparence dans la gestion publique et la persistance de la corruption, mais leurs remarques n'ont trouvé aucun écho. L'ex-ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, a perdu son poste pour avoir dévié de la ligne présidentielle, et le chef de l'Etat a clairement signifié aux responsables de l'Etat qu'il ne saurait y avoir de voix divergentes. Nouveaux temps, nouvelles mœurs, ce que n'a pas encore compris l'opposition, qui réagit comme il y a une dizaine d'années : comme sa stratégie ne s'est pas adaptée à celle du pouvoir, elle perd de plus en plus de terrain. Le charisme et l'itinéraire politique et militaire seuls ne feront pas de Mouloud Hamrouche un opposant redoutable et efficace.