Le monde industrialisé apprend à vivre avec le pétrole plus cher. Toutes les prévisions de croissance pour 2006 dans l'OCDE intègrent un prix du baril proche des 50 dollars et aboutissent à des chiffres moyens, entre 2% et 3%, qui ne ressemblent en rien à la récession d'après les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1980. Les experts divergent sur la silhouette de la courbe de production du pétrole et du gaz d'ici la fin du siècle. Va-t-elle atteindre son plateau le plus haut à partir de 2015 ou seulement 15 années plus tard ? Dans les deux cas, ils conviennent bien que nous sommes entrés dans une phase historique de « rareté relative » de l'offre de pétrole. Non plus à cause de l'effondrement des réserves - elles n'ont jamais été aussi élevées depuis que l'on exploite du pétrole - mais parce que la croissance annuelle de la demande énergétique a doublé, passant - à cause notamment du boom asiatique - de 50 millions de tonnes dans les années 1980 à 100 millions de tonnes ces trois dernières années. Les capacités additionnelles de production ne suivent le mouvement que de loin. Le renfort d'un Irak qui produirait 6 millions de barils/jour n'est plus intégré dans le calendrier, le développement des provinces pétrolières autour de la mer Caspienne sera long, le pétrole additionnel pompé dans les pays de l'Opep arrivera sur les marchés non plus pour effacer l'atmosphère de rareté mais pour la confiner. C'est dans l'intérêt de l'OPEP. Bref le pétrole à 50 dollars n'est plus une conséquence clinique d'un monde qui « a perdu la raison » depuis le 11 septembre 2001. Il témoigne d'une tendance quasi irréversible de renchérissement de l'énergie fossile. La conjoncture des pays industrialisés aborde donc en douceur ce choc rampant, mais plus encore, dans les salles de commandes des grands pays, le cap est corrigé en fonction de cette nouvelle donnée de l'énergie plus chère : l'accès aux nouvelles sources de pétrole est reclassé « plus haute vitalité », comme le montre l'invasion de l'Irak, le nucléaire civil est réhabilité dans les médias, les programmes d'énergies renouvelables sont arrosés par des budgets additionnels . Le monde occidental était mentalement préparé à ce tournant fatal du renchérissement de l'énergie fossile. La part du pétrole dans les prix intérieurs est tombée à moins de 4% dans les économies les plus développées. Qu'en est-il des pays producteurs comme l'Algérie ? Tout dans le discours officiel se passe comme si le pétrole à 50 dollars est une fenêtre de tir de trois ou quatre années favorables qui s'est fortuitement ouverte et par laquelle il faut coûte que coûte réussir le décollage et la mise sur orbite de l'économie algérienne. Une opportunité à ne pas rater. Personne dans le discours officiel, ni dans celui de l'opposition, n'a encore proposé de réfléchir à un autre scénario, le plus probable en réalité, celui où l'Algérie se serait installée dans une très longue période de très fortes recettes énergétiques. Pourtant, la prospective change du tout au tout selon que l'on prévoit, sur une décennie, des revenus en devises de 20 milliards de dollars par an ou de 40 milliards de dollars - comme cela peut être le cas dès cette année. L'écart serait de 200 milliards de dollars que l'on aurait pas prévu d'engranger, donc de bien utiliser. Les autorités algériennes ne sont pas dupes. Elles savent sans doute que nous sommes au début d'une longue période de pétrole cher qui ne s'achèvera qu'avec la montée en puissance à la fin du siècle des énergies alternatives. Elles préfèrent ne pas l'affirmer à l'opinion selon une vieille ruse paysanne qui consiste à agiter le spectre de la famine pour maintenir l'ardeur au travail. Il y a en vérité bien plus grave que de démobiliser les Algériens en leur disant que leur Etat va continuer à s'enrichir de plus en plus. Ne jamais avoir réfléchi à l'Algérie de 2025 selon ce paramètre du pétrole cher. « Si je savais que j'allais avoir les moyens financiers de construire des villes sur l'eau je n'aurais pas détruit mes terres agricoles » : voilà un exemple de soupir qu'il est encore possible d'éviter dans vingt ans sur la bouche d'un retraité du sommet de l'Etat algérien.