22h06. Ahmed Ouyahia allume sa première cigarette Marlboro. Des cercles officieux parlent d'une relative reprise après avoir tenté d'arrêter de fumer. Le secrétaire général du RND, en complet gris, occupe l'une des trois tables disposées en triangle, au 8e étage du siège du RND à Ben Aknoun, commune en altitude d'Alger, aux côtés d' Abdelaziz Belkhadem, en costume couleur terre, secrétaire général du FLN, et de Bouguerra Soltani, en complet bleu nuit, leader du MSP et président sortant de l'Alliance présidentielle. Derrière, les états-majors respectifs, cadres, ministres. Les journalistes sont regroupés derrière le bloc RND, le parti qui prend ce soir les rênes de la présidence de l'Alliance. Du regard, Ouyahia suit l'installation des micros de la radio et de la télévision d'Etat et la géométrie des champs couverts par les caméras. Les trois hommes, un chef du gouvernement et deux ministres d'Etat, s'interpellent tendrement en usant de la qualification « akhi » (mon frère). Derrière une tribune transparente dominée par le portrait d'Abdelaziz Bouteflika, Bouguerra Soltani, présentant une synthèse des « réalisations » du mandat trimestriel du MSP, commet un lapsus en désignant Belkhadem « coordinateur général » du FLN. La salle rit. Belkhadem aussi. Derrière lui, Abdelhamid Si Afif, chef des opérations d'assauts violents contre des mouhafadhas du temps d'Ali Benflis en 2003, rit aussi. Le président du MSP se félicite en boucle. Lors de la campagne référendaire, les trois chefs de l'Alliance ont animé 104 meetings. 600 autres ont été assurés par des cadres des trois partis en Algérie et 86 à l'étranger. La nouvelle mission de l'Alliance, souligne Soltani, s'articule autour de « la concrétisation de la charte pour la paix et la réconciliation nationale », la réalisation du « plan Marshall » censé « reconstruire ce qui a été détruit par le terrorisme » et le « parachèvement du programme de relance économique par le programme de croissance qui doit être réalisé à 100% dans les années 2005-2009 ». Il a opéré une classification triangulaire de la scène politique : l'Alliance, les autres partis qui siègent à l'APN et aux assemblées locales et ceux « réels ou microscopiques » qui, selon Soltani, « accusent à tort les partis de l'Alliance de fermer le champ politique et de pousser vers l'unanimisme ». Les partielles du 24 novembre permettront, à ses yeux, de « stabiliser davantage le pays pour se concentrer sur ces questions ». Après 25 minutes de paroles, il remet à Ouyahia le bilan du mandat du MSP : « Merci à la presse, j'ai compilé ici les écrits de la presse ». « Je propose donc que la presse rejoigne l'Alliance », rigole Belkhadem. « C'est déjà fait, avec un champ médiatique aussi fermé et la peur installée dans les rédactions », commente, en aparté, un journaliste politique. Les trois frères du 8e étage M. Bouguerra commet un autre lapsus en tendant la serviette noire du bilan à Ouyahia : « On procède à la “passion'' des consignes. » Belkhadem prend la parole pendant cinq minutes pour dire sa satisfaction et ses remerciements aux deux alliés. Ouyahia, qui n'a pas allumé de cigarette depuis une demi-heure, déclare que « les résultats du référendum ont fermé les portes devant les analystes qui s'attendaient à des scores de 70% ou 80% ». « Nous sommes alliés autour du programme du Président qui, peut-être, vient d'être plébiscité une seconde fois, et nous en sommes fiers », a-t-il ajouté avant de proclamer le huis clos. Le huis clos nocturne dure de 22h45 à 2h03. A minuit, une tentative d'accès au 8e étage par deux journalistes s'arrête net devant le dissuasif « Win ?! (où est-ce que vous allez comme ça ?!) » d'un agent massif de la garde rapprochée d'Ouyahia. Dehors, les journalistes qui patientent font le bonheur d'une gargote : qalb ellouz, thé, lait fraise, etc. Les douceurs offertes par le RND étant largement consommées, ils ne subsistent que thé et café dans la salle d'attente de la presse au premier étage. A deux heures, c'est déjà demain. La file de journalistes remonte les huit étages. Ouyahia, croisé pendant que les journalistes attendaient dans l'entresol du 7e et du 8e, s'excuse d'avoir laissé la presse attendre. Qu'avaient les trois à se dire pendant plus de quatre heures ? « Tout. Même sur l'Irak, le Sahara-Occidental... », avance un cadre du RND. Retour à la salle du dernier étage de l'ancien siège de l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique (ONCIC, dissous). Les trois « frères » reprennent leurs places. Lecture de la déclaration finale. L'Alliance soutient « totalement » les procédures et mesures qui seront prises par le chef de l'Etat pour l'application de la charte. Soutien assuré dans le cadre de l'Exécutif, du Parlement, et « dans la réalité du terrain ». L'Alliance espère que les partielles du 24 novembre se dérouleront « dans le calme ». Les trois se disent « satisfaits » des « moyens financiers importants alloués dans la loi de finances 2006 pour le programme de soutien à la relance ». Soutien aussi à la concrétisation du programme spécial pour le Sud et les Hauts Plateaux avec proposition de charger la commission tripartite d'étudier ce dossier en coordination avec les cadres des trois partis des wilayas concernées. A été annoncée la réactivation de la commission tripartite qui devra plancher sur un programme de travail conjoint de l'Alliance. Photo de famille. Conférence de presse d'Ouyahia seul sans ses « frères » (lire le compte-rendu de M. A. O.). Le SG du RND répond en arabe, en français et en berbère. Sans griller une seule cigarette. Dix questions. 2h30. En bas, la berline grise Peugeot 407 qui l'attend s'apprête à démarrer. Vroom !