En ce Ramadhan, chaque soir au JT de 20 heures, le téléspectateur assiste à un spectacle qui le remplit d'aise : le président de la République tance ses ministres, exigeant d'eux de regarder les Algériens droit dans les yeux et de leur dire la vérité, toute la vérité, dans le langage qu'ils comprennent. Yousfi est tenu de s'expliquer sur l'affaire Sonatrach, la compagnie livrée à des prédateurs et sa direction jetée en taule. Ghoul sur les milliards de dollars envolés du chantier de l'autoroute Est-Ouest et Ould Kablia sur les restrictions imposées aux libertés politiques et publiques. Obligation est faite à Benbouzid de justifier les bons scores aux examens de fin d'année, alors que les élèves n'ont étudié que la moitié des programmes et à Harraoubia de se prononcer sur le classement honteux des universités algériennes, parmi les dernières dans le monde. Ould Abbès est contraint, lui, de s'expliquer sur le règne des cafards dans les hôpitaux et Mimoun sur le rush des vacanciers algériens vers la Tunisie, fuyant les plages (magnifiques) du pays, et Benbada sur l'explosion des marchés informels et de la contrefaçon dans le pays. Dès qu'ils versent dans la langue de bois ou tentent de tirer la couverture vers eux, Bouteflika pique une crise de nerfs, comme au bon vieux temps. Tout cela évidemment n'est que de la politique-fiction. Le téléspectateur n'a droit cette année encore qu'au rituel inauguré il y a quatre années : l'audition présidentielle réduite à un texte rébarbatif lu pendant une bonne demi-heure par un présentateur en sueur. Visiblement rédigé par le ministre concerné, le document se limite à une avalanche de chiffres sur les «réalisations physiques» du secteur. Sont totalement absentes les difficultés de mise en œuvre des programmes et surtout les conflits ayant surgi durant l'année. Les interventions de Bouteflika se limitent à des remarques d'ordre général. Sont évacués les grosses affaires, les scandales, les retards de développement et les tensions politiques et sociales, toute chose que rapportent régulièrement les médias. Le maître mot de cette audition, comme les précédentes, est l'autosatisfaction générale. Le chef de l'Etat rate une opportunité unique dans l'année d'entrer «en communion» avec la population, au moment où celle-ci est toute entière braquée sur le petit écran. A l'évidence, il manque chez Bouteflika une politique de communication, mieux encore une volonté de prendre à témoin les Algériens sur la gestion des affaires publiques par les ministres et sur la destination réelle des deniers du Trésor public. La mise à distance avec les Algériens est devenue une constante chez le président de la République. Il n'apparaît que rarement sur la scène publique, ne le faisant que lors de cérémonies protocolaires. Ce qui s'expliquait, il y a quatre à cinq années, par son état de santé ne l'est plus maintenant qu'il apparaît en bonne forme. Bouteflika est-il arrivé à la conclusion que le peuple algérien est mineur, inapte à être impliqué dans la gouvernance du pays ? Un autre élément plaide pour cette hypothèse : son acharnement à maintenir, vaille que vaille, aux commandes des ministères les mêmes hommes, des années durant, jusqu'à l'usure physique, ne dégommant quelques-uns qu'à la faveur d'un scandale majeur sous la pression de l'opinion publique. Mais s'attelant toujours à sauver les fidèles alliés après une petite traversée du désert, généralement en les casant dans la diplomatie.