Samedi soir, le public a applaudi debout le nouveau spectacle de danse contemporaine Nya de Sofiane Abou Lagraâ. Un succès Une pluie de roses. Les jeunes de la nouvelle cellule de danse contemporaine du Ballet national étaient sous toutes les lumières, samedi soir au théâtre national Mahieddine Bachtarzi, à Alger, à la fin de la première mondiale du spectacle de danse Nya. Les bouquets de roses venaient de partout pour dire «merci». Oussama Kouadria, Salah Eddine Mechegueg, Zoubir Yahiaoui, Bilel Madaci, Abdelghani Meslem, Abderaouf Bouab, Mokhtar Boussouf, Ali Braïnis, Nassim Feddal, Mohamed Walid Ghazli étaient fortement applaudis après un spectacle de 64 minutes conçu par le chorégraphe Sofiane Abou Lagraâ, assisté de son épouse Nawal. Dix danseurs choisis après un casting de 400 candidats. En sept mois, les dix danseurs choisis ont été formés aux techniques sophistiquées de la danse contemporaine par une quinzaine d'encadreurs. Sur le pont, un documentaire de Laurent Aït Benalla, projeté en début de spectacle, a montré le cheminement du spectacle (un documentaire sera diffusé par la chaîne franco- allemande Arte sur ce projet). «On cherche des gens solides, sérieux, qui veulent travailler et qui vont gagner de l'argent», annonce Sofiane Abou Lagraâ lors des sélections. Il conseille aux danseurs de s'amuser et… de s'inspirer du chat. «Toute l'Algérie était au courant du casting d'Abou Lagraâ. Nous étions nombreux à venir de Annaba. J'étais très heureux d'être sélectionné. Moi, je faisais du break-dance dans la rue. Là, j'ai appris à être doux et fort à la fois», nous a confié Oussama Kouadria, le seul à venir en dehors d'Alger. Nassim Feddal a, pour sa part, reconnu avoir appris l'organisation, la concentration et la discipline avec le chorégraphe. Sur scène, Salah Abou Lagraâ n'a pas caché son bonheur. «Venir en Algérie pour moi, c'est la consécration. Il n'y en aura pas d'autres. Parce que c'est mon pays», a-t-il dit en présentant le spectacle. Le premier tableau commence de la manière la plus inattendue. Deux danseurs tentent de s'adapter aux clameurs de la ville. Manière probablement de montrer que ces jeunes (mis à part Mokhtar Boussouf) viennent de la rue, l'endroit où ils ont appris à danser le hip-hop, une danse urbaine, née dans les streets new-yorkaises. Le Boléro de Maurice Ravel, une musique inspirée d'une danse espagnole et destinée, à l'origine, au ballet, s'incruste comme une brise fraîche par une journée de canicule, dans les bruits de la ville. La musique monte en cadence. Vêtus en tenue de répétition aux couleurs variées, les danseurs évoluent selon le boléro et son crescendo progressif. L'expression paraît libre. On se permet de puiser dans «le patrimoine gestuel» du kung-fu et de l'acrobatie. De l'aérien par-là, du terrien par-ci, et, entre les deux, des contorsions osées. Le dialogue se poursuit sur le tapis classique du boléro, mais le corps, tout le corps, réclame de l'oxygène, de l'air, cette irrésistible tentation de vouloir vivre, vivre, encore et encore… Les ombres des danseurs qui se projettent, parfois furtivement, sur quatre carrés lumineux (imaginés par Gérard Garchey) soulignent cette fureur d'une jeunesse «bâillonée» par le règne de la bêtise et par les «légitimités» poreuses. La voix de Houria Aïchi, qui porte toute la limpidité et la profondeur des Aurès, accompagne, dans le deuxième tableau, une danse presque rituelle. Un danseur, face à ce qui ressemble à une cascade de tapis, en noir et en vert bleu, exécutent des mouvements, comme ceux de l'émancipation, de la délivrance. Les neuf autres danseurs sont étalés sur scène, comme morts. Le danseur solitaire retrouve sa «place» parmi eux. Il touche la tête de ses deux voisins, lesquels répètent le même geste… et c'est la résurrection. La danse désarticulée au départ ressemble à celle des morts vivants (à jamais immortalisée par Thriller de Michael Jackson).Les chants chaouis de Houria Aïchi et les musiques de l'Egyptien Hossam Ramzy, celui qui a «universalisé» le rythme baladi et inventé le flamenco arabe, sont là pour dérouler le tapis de la spiritualité, de la quête de l'absolu et du désir de dire sa différence. Le tout se termine, presque en apothéose, par le célèbre chant de Aïssa Djarmouni, Bkoua beslama ya arab Merouana, repris par Houria Aïchi… La chaude guesba aurasienne a donné une couleur vivace à une danse actuelle à travers laquelle se dégage toute une philosophie. Celle de la diversité. De la pureté également. Cela est poétiquement souligné par des jets d'eau vers lesquels se dirigent les danseurs, certains torses nus, pour se mouiller. C'est là, l'expression d'une certaine audace esthétique… Les jeunes danseurs ont beaucoup donné face à un public émerveillé. Même si le stress a quelque peu troublé certains d'entre eux, la sensibilité était évidente. Y a comme cette farouche volonté d'exprimer l'existence face à la menace entretenue du néant. Sofiane Abou Lagraâ a eu l'intelligence de tirer toute sa sève de cette volonté admirablement algérienne que partagent les jeunes. Khalida Toumi, ministre de la Culture, est allée féliciter les artistes en souhaitant une présence féminine lors du prochain spectacle. «Des jeunes ont accepté les règles universelles de travail et de discipline. Je les adore parce qu'ils n'ont jamais fait de ballet. Ils ont démarré de zéro et accepté le sacrifice», a-t-elle affirmé. La ministre a relevé avoir conseillé le chorégraphe d'aller chercher des candidates à la danse parmi les sportives. «Jusqu'ici, le ballet national travaillait sur le patrimoine. Il était nécessaire de créer une section d'art contemporain. Pour cela, il fallait trouver des formateurs. Y aura-t-il un ballet de danse contemporaine ? Pourquoi pas ! C'est le début…», a ajouté Khalida Toumi. Après Alger, Nya, produit par la compagnie La Baraka, l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et la communauté de communes du bassin d'Annonay (France), sera présenté à la biennale de la danse de Lyon le 26 septembre. Plus de 600 compagnies participent à cette manifestation. Une tournée est prévue également au Moyen-Orient.