A chaque rentrée universitaire, les mouvements de grève s'enchaînent. Des étudiants crient à la hogra administrative, d'autres se disent victimes d'une politique sans lendemain. Les enseignants se plaignent des conditions socioprofessionnelles inacceptables. Mais au final, d'où vient le malaise ? DE TROP DE BUREAUCRATIE A chaque rentrée universitaire, la même anarchie règne dans l'enceinte des universités. «Les enseignants et les étudiants se perdent dans le maquis de la loi d'orientation, de la gestion des transferts, de l'insuffisance des places pédagogiques, des nouvelles dispositions concernant la recherche et des multiples décisions bureaucratiques», a déclaré le Front des forces socialistes (FFS) suite à la présentation de la politique générale du Premier ministre. Depuis un mois, les étudiants observent, dans les différentes universités à travers le pays, des sit-in pour protester contre les résultats de passage rendus par l'administration. Ainsi à la faculté centrale d'Alger, les étudiants recalés de la deuxième année interprétariat sont en grève. «L'administration refuse de nous recevoir pour écouter nos doléances. Les notes obtenues aux examens de rattrapage n'ont pas été prises en compte dans la moyenne générale. Nous n'avons pas eu droit de consulter nos feuilles d'examen et enfin, l'administration nous exclut tout droit au recours», explique Mordjane Hamlaoui, représentante du collectif des protestataires. A l'université de l'USTHB de Bab Ezzouar, ce sont des étudiants de première année qui sont en grève pour le même motif. «Vous savez ce que nous propose l'administration pour régler nos problèmes ? D'intégrer directement la deuxième année… en droit ! A cause du nombre élevé des nouveaux étudiants, estimés à 17 000 et le manque de places pédagogiques», s'étonne Mohamed, étudiant en technologie. A Constantine, quelque 150 étudiants de deuxième et troisième années de médecine se sont rassemblés devant les locaux de l'administration pour protester contre le programme des études qui vient de leur être proposé, jugé trop chargé. A la faculté de droit de Ben Aknoun, ce sont les enseignants qui sont en grève en guise de protestation contre des conditions de travail intenables, selon un communiqué du Conseil national des enseignants du supérieur, qui précise que cette grogne est due à la «détérioration de la situation pédagogique, scientifique, administrative et sécuritaire». «Ces actions interviennent suite à un ras-le-bol des enseignants victimes d'agressions répétées de groupes de pression qui oeuvrent à imposer leur loi dans l'évaluation des étudiants, et ce, en violation flagrante des règles pédagogiques et scientifiques les plus élémentaires.» A Tizi Ouzou, les enseignants de l'institut de gestion sont également en grève, depuis une semaine, car ils refusent le planning des cours, transmis par l'administration. Nos tentatives pour joindre les responsables n'ont pas abouti, les agents de sécurité nous empêchant d'accéder aux bureaux. DU MANQUE DE CREDIBILITE DE CERTAINS CURSUS Autre motif de colère pour les étudiants : la valeur des diplômes. Les étudiants en philosophie protestent contre le sort que leur a réservé la Fonction publique. «Nous nous sommes trouvés face une impasse, exclus de tous les domaines de la Fonction publique : l'administration, la sûreté nationale, même l'enseignement secondaire nous est interdit. Seul l'enseignement en primaire nous est autorisé, alors que ce dernier n'a rien à voir avec la philosophie », pouvait-on lire dans un communiqué émis par un collectif d'étudiants. Les diplômés en philosophie ont commencé une grève illimitée de la faim pour faire valoir leurs droits. A Souk Ahras, les étudiants de l'école doctorale de français, option sciences du langage, inscrits en première année de magistère depuis l'année 2008/2009, demandent à l'administration des clarifications sur une inexplicable rupture avec leurs encadreurs pédagogiques qui ont précocement mis fin à leur cursus, à ce jour inachevé. «Nous nous trouvons dans une confusion totale, entre un sentiment d'incompréhension et de révolte… car nous ne disposons d'aucun papier officiel précisant notre statut par rapport à l'université à laquelle nous appartenons», ont-ils écrit dans une lettre adressée au premier responsable du centre universitaire de Souk Ahras. Ces derniers proposent, dans le cas d'une suite défavorable à leur demande, le transfert du groupe à une autre université. «Aucun responsable n'a daigné prendre notre problème en charge ou, à défaut, se plaint l'un des contestataires, nous donner explication à l'inextricable situation dans laquelle nous nous trouvons.» DU MANQUE DE COMMUNICATION ENTRE PROFS ET ETUDIANTS Si les enseignants rencontrés admettent que les étudiants ont tout à fait le droit de réclamer leurs droits, ils soulignent aussi qu'ils sont nombreux à ne pas «faire preuve de persévérance pendant leurs cursus, et le jour des examens à crier au scandale.» De leur côté, les étudiants se défendent. «Une heure de cours bâclée, des polycopies et le tour est joué», dénoncent des étudiants rencontrés à Dély Brahim. «Après les examens, les profs mettent deux mois pour rendre les résultats. Je vous promets qu'ils ne regardent même pas les réponses», accusent des étudiants de Kharouba.
DE L'ABSENCE DE LIEUX D'EXPRESSION «Il n'existe pas d'espace de débats au sein de l'université», lance d'emblée Mourad Ouchichi, enseignant à l'université de Béjaïa. Dans une lettre que nous a adressé un étudiant de l'école d'architecture du pôle universitaire de Sétif pointe l'architecture même des bâtiments abritant les universités algérienne. «Des compartiments collés les uns aux autres, un mur d'enceinte : l'étudiant, en sortant des cours, ne trouve aucun espace dédié à la rencontre avec les autres étudiants. Dès la fin des cours, l'étudiant se voit déjà à l'extérieur.» Seul espace existant : «Les couloirs qui leur servent de point de ralliement, de rencontres et d'échanges plus chargés de propos amers que d'enthousiasme. Point de goût pour parler science, communication, colloque, thèses et antithèses ! Souvent, les enseignants se confondent avec les étudiants auxquels ils se mêlent malgré eux», s'énervait Ahmed Rouadjia de l'université de M'sila dans une contribution pour le quotidien El Watan en 2005, condamné par ailleurs, pour rappel, à 6 mois de prison pour délit d'opinion. Dans ce sens, Boudjemaa Salem de l'université de Tizi Ouzou en appelle à la communauté universitaire pour qu'elle «se réapproprie son espace de débat et de concertation, s'impose le seul baromètre de mesure des échelles de compétences et valeurs scientifiques et humaines, plaide pour une justesse et une justice dans les prises de décisions importantes afin que l'étudiant, l'enseignant et l'administratif puissent reprendre leurs droits et rendre à l'université sa dignité». DU PASSAGE ALEATOIRE AU LMD «Entrée comme par effraction, mais présentée comme une nécessité, la réforme des enseignements supérieurs dite réforme LMD, navigue à vue» peut-on lire dans une étude du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique, menée par les deux chercheurs Nouria Benghabrit-Remaoun et Zoubida Rabahi-Senouci de l'université d'Oran sur le système LMD. «Les enseignants ne semblent pas croire en cette réforme, d'une part, parce qu'ils n'y ont pas été associés et, d'autre part, parce qu'ils sont conscients de l'insuffisance des moyens disponibles pour réaliser le projet. Même chez ceux qui semblent plus optimistes, cette réforme n'augure d'aucune transformation structurelle ou organisationnelle profonde.» Cette réforme inspire même l'ironie à en croire les surnoms qui lui ont été donnés : Leurre modifiant le décor, Le moyen pour miner la démocratisation, Le processus de mondialisation a démarré… Les organisations estudiantines ne sont pas restées indifférentes à ce sujet. Elles estiment que l'empressement, depuis trois ans, de certains recteurs, à l'application du nouveau système, a conduit à un taux d'échec sans précédent. DU MANQUE D'AUTONOMIE DES UNIVERSITES La réforme engagée depuis 2005 prévoyait de passer à un autre type d'université caractérisé par un système de gestion plus souple et plus autonome. La désignation des responsables des universités se faisant encore par la tutelle. «Les autorités refusent d'octroyer l'autonomie à l'université», explique Mourad Ouchichi, enseignant à l'université de Béjaïa. Ainsi, en mettant la gestion des universités entre les mains de l'administration, cette dernière se réserve le droit d'ingérence dans le fonctionnement des affaires de l'université, cela, selon des universitaires. Ce qui a conduit à diverses dérives, notamment une «surpolitisation» de l'université, par ricochet otage des «visions restreintes, idéologiques du régime en place». Alors que «les responsables de l'université doivent être élus et non désignés», réclame Mourad Ouchichi. En somme, les enseignants revendiquent la démocratisation de l'université et son ouverture sur le monde. ■