Quand les premiers responsables de la santé publique, des professeurs en médecine de surcroît qui connaissent mieux que quiconque les conséquences désastreuses de l'infection, aussi bien sanitaires que socioéconomiques et politiques et le lourd tribut de mortalité, de morbidité et de souffrance humaine, payé par notre peuple aux infections et qui savent pertinemment que la réussite de tous nos programmes nationaux de santé est subordonnée d'abord au contrôle de l'infection cautionnent la destruction d'un programme aussi important pour l'Algérie que le programme national de prévention des infections liées à la pratique médicale (ILPM), il ne faut plus s'étonner qu'une épidémie de plus de 300 cas de fièvre typhoïde perdure depuis le 16 juillet 2004 dans le centre-ville d'un chef-lieu de wilaya, Batna, la capitale des Aurès. Quand des actes prouvés de sabotage, d'insubordination et d'irrégularités portant lourdement atteinte à la santé publique et à l'autorité de l'Etat sont commis au niveau central par les plus proches collaborateurs des ministres de la Santé, le précédent et l'actuel, sans qu'aucun des coupables cités soit interrogé sur ses actes ou inquiété pour son poste, il ne faut pas s'attendre à des miracles au niveau de la base. Quand un directeur de santé de wilaya (Constantine, ces derniers jours) viole délibérément la réglementation en vigueur relative à l'importation et à la distribution des produits pharmaceutiques, c'est qu'il savait, et le temps lui a donné raison, que le respect des textes n'est certainement pas le premier souci de sa tutelle et que la pire des sanctions qu'il risquait était sa récente mutation à la tête d'une autre wilaya (El Taref). Quand un simple directeur d'hôpital (DG du CHU Mustapha) défie la hiérarchie nationale et bloque injustement à ce jour l'exécution d'un arrêt de la Cour suprême prononcé dans sa forme exécutoire depuis 1997 et corroboré par deux arrêtés interministériels d'application visés par la Chefferie du gouvernement ainsi que deux décisions d'exécution signées par sa propre tutelle (MSPRH), dans une totale impunité, sans qu'aucun des deux ministres, le précédent et l'actuel, puisse le rappeler à l'ordre, ne serait-ce que par morale professionnelle ou au moins par respect aux sceaux de l'Etat et au gouvernement dont ils sont membres ; il y a vraiment de quoi être inquiet pour la « conscience politique » de ces grands commis de l'Etat et surtout pour le prestige et la souveraineté de l'Etat de droit. Quand un quotidien national des plus crédibles titre « Pétition en faveur du directeur général » (El Watan du 18 août 2004) et qu'un autre, pas des moindres, publie cinq jours après, un entretien avec le ministre de la Santé (Liberté du 24 août 2004) dans lequel il fait l'éloge et présente tacitement des excuses publiques à peine voilées à ce même DG (CHU de Tizi Ouzou), qu'il venait de limoger quelques jours auparavant et lui propose de surcroît une promotion à une fonction supérieure de l'Etat (conseiller au niveau du cabinet), on est en droit de s'interroger s'il n'y a pas confusion entre pouvoir discrétionnaire et acte discriminatoire. Quand dans ce même entretien, le ministre déclare : « Je limoge les hommes qui ont failli à leur mission, or je n'ai sanctionné personne », on est forcément appelé à ouvrir le dictionnaire pour revoir la définition de cette notion de sanction administrative. Surtout quand on sait qu'en moins d'une année (6 octobre 2003), il a, à tort ou à raison peu importe, limogé, dégradé ou muté plus d'une dizaine de ses plus proches collaborateurs : inspecteur général, chef de cabinet, 7 directeurs centraux (administration générale, pharmacie, structures de santé, prévention, formation, réglementation, communication), plusieurs conseillers et sous-directeurs, les DG de la PCH et de l'INSP ainsi que de nombreux gestionnaires sur le terrain (DSP, DG de CHU et de SS) ; sans qu'aucun ait été traduit devant une commission disciplinaire ou que sa gestion ait été objectivement évaluée. Comment peut-on alors distinguer « les hommes qui ont failli à leur mission » quand on met tout le monde, sans défense ni évaluation, dans le même sac ? Le pouvoir discrétionnaire (faculté laissée à l'administration de prendre l'initiative de certaines mesures) n'a jamais été synonyme de dérogation accordée à un ministre pour violer la Constitution : « Les institutions ont pour finalité d'assurer l'égalité en droits et devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l'épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous à la vie politique, économique, sociale et culturelle » ; « L'égal accès aux fonctions et aux emplois au sein de l'Etat est garanti à tous les citoyens, sans autres conditions que celles fixées par la loi » ; « Nul n'est censé ignorer la loi. Toute personne est tenue de respecter la Constitution et de se conformer aux lois de la République » (articles 31, 51, 60 de notre Constitution). Malgré le nombre, la clarté et la force de loi des textes relatifs aux procédures réglementaires en vigueur de nomination et de mise fin dans les fonctions supérieures de l'Etat (pour ne citer que : le décret présidentiel n° 44-89 du 10 avril 1989 ; le décret exécutif n° 226-90 du 25 juillet 1990 ; le décret exécutif n° 227-90 du 25 juillet 1990 ; l'instruction présidentielle n°29 du 13 novembre 1994 ; la circulaire du chef du gouvernement n° 09 du 9 mars 1995 ; le décret présidentiel n° 240-99 du 27 octobre 1999 ; la circulaire du chef du gouvernement n°08 du 3 septembre 2000,...), tous conçus pour prévenir l'abus par des termes positifs très prometteurs tels que justice, équité, probité, dignité, compétence, respect des droits des fonctionnaires,... ; ce sont généralement la violation de ces procédures et la traversée du désert qui attendent le cadre déchu. Seul garant de la pérennité de l'Etat, l'administration est, de par le monde, régie par des principes et des règles de bonne conduite, de moralité et de probité ; alors que pour nous, ce sont les sanctions sans faute, les limogeages abusifs, les abus d'autorité et les harcèlements qui meublent les conversations quotidiennes de nos gestionnaires. Ce sont ces pratiques amorales, ces dérapages dangereux et ces agissements irresponsables qui ont fait du « gestionnaire algérien » un frustré, un sursitaire attendant l'exécution d'une peine, un gestionnaire au service des individus au lieu d'être au service des institutions ; et, en fin de compte et au prix de sa dignité, un gestionnaire de sa carrière constamment menacée, au détriment de la gestion de la chose publique ! Il est universellement admis que la sanction est un outil de gestion. et, pour être efficace, elle doit être certaine, immédiate et proportionnelle à la faute objectivement établie. C'est là l'enseignement tiré de l'expérience humaine à travers sa longue histoire. Si nos fameux « grands commis de l'Etat » étaient certains, seulement du risque de sanction, ou de contrôle ou d'évaluation, ils ne se seraient jamais aventurés, durant de longues années, à traiter avec autant de légèreté des dossiers extrêmement importants pour le pays (tels le projet de loi sur la santé qui traîne depuis trois années, le protocole de Cartagena relatif à l'importation d'OGM, la veille contre les risques chimiques et biologiques, la surveillance épidémiologique, ...) ; à briser les carrières, voire les vies des meilleurs cadres algériens pour laisser le champ libre aux médiocres ; à piétiner, au vu et au su de tous, sans aucune retenue, les lois de la République et à faire de la santé publique ce qu'elle est aujourd'hui pour notre pays : un lourd fardeau social. Il n'y a pas de prévention sans répression ! En santé publique, l'impunité n'est pas seulement amorale ou dangereuse, elle est mortelle. La situation épidémiologique catastrophique tant pour les maladies transmissibles que non transmissibles et le marasme généralisé actuels ne sont que l'aboutissement naturel et prévisible d'une gestion floue, despotique et irrationnelle, menée depuis de longues années par l'administration centrale du MSPRH ! Et ce n'est certainement pas l'importation, comme prévu, de coopérants techniques européens pour gérer le nouveau CHU d'Oran, notre fierté nationale, après avoir importé sa dénomination (EHU au lieu de CHU établissement HU au lieu de centre HU) qui changera notre triste réalité. Il faut changer nos mentalités ! Il est évident qu'avec la débâcle actuelle, incroyable mais vraie, au niveau central, où limogeages et nominations ne répondant à aucune logique ni critère se succèdent rapidement et où compétence et transparence sont totalement exclues, les réformes hospitalières ne peuvent qu'être renvoyées aux calendes grecques : « Celui qui ne possède pas une chose ne peut pas la donner ! » * Abdelouahab Bengounia Professeur en épidémiologie et médecine préventive au CHU Mustapha - Juriste