Le déballage public sur la Françafrique, – ce réseau d'intérêts et de connivence entre gouvernants français et chefs d'Etat africains, mis en place par Jacques Foccart, proche collaborateur du général de Gaulle pour perpétuer des liens privilégiés entre la France et son pré carré africain – n'est pas fini. Paris De notre bureau L'avocat Robert Bourgi en rajoute une louche en affirmant dans une interview au Journal du Dimanche avoir reçu, dans le bureau de Dominique de Villepin à l'Elysée, des valises de billets de la part de chefs d'Etat africains pour financer la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 2002. L'avocat franco-libanais a réitéré, hier, ses déclarations sur diverses chaînes de radio et plateaux de télévision, en ajoutant que plusieurs ex-présidents et ministres de la Ve République auraient, selon lui, reçu directement ou indirectement, pendant des décennies, des fonds occultes de chefs d'Etat africains. «M. Foccart (longtemps conseiller aux Affaires africaines de l'Elysée aujourd'hui décédé, principal artisan de la Françafrique et dont Robert Bourgi se présente comme le fils spirituel) m'a dit, à moi, que ces pratiques existaient même du temps de M. Pompidou, même du temps de M. Giscard d'Estaing et même du temps de M. Mitterrand», a-t-il déclaré. Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont affirmé que des plaintes en diffamation sont déposées contre Robert Bourgi. «Il est pour le moins suspect et pour tout dire scandaleux que M. Bourgi ait attendu que le président Chirac ne soit plus en mesure de se défendre pour soulager son âme délicate du poids écrasant qui, semble-t-il, pesait sur sa conscience depuis tant d'années», a commenté l'avocat de Jacques Chirac, Me Jean Veil. «Les accusations qu'il porte sont graves, scandaleuses, détaillées comme tous les mauvais polars, et c'est pour cela que, comme Jacques Chirac, je porterai plainte contre lui», a pour sa part déclaré l'ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, dimanche soir sur France 2. L'opposition réclame l'ouverture d'une information judiciaire. «Il n'y a qu'une manière de faire la lumière : la justice et rapidement», a dit l'ancien Premier ministre socialiste, Laurent Fabius, sur RTL. «Ce qui est sûr, c'est que si ces faits sont avérés, c'est le plus grand scandale de la droite depuis des décennies», a-t-il ajouté. Ségolène Royal a parlé de «spectacle affligeant», de «règlements de comptes nauséabonds». La candidate à la primaire socialiste pour la présidentielle a appelé à «remettre de l'ordre moral juste» face à une «très grave affaire qui révèle des mœurs politiques totalement dégradées». Cécile Duflot, secrétaire nationale d'Europe Ecologie Les Verts, a estimé, hier sur i-Télé, qu'il faut une enquête après les déclarations de l'avocat Robert Bourgi qui dévoilent «un climat absolument détestable». Elles «expliquent la complaisance avec certains régimes africains» et le fait que «l'enquête sur les biens mal acquis de dirigeants africains en France n'avance pas». Pour sa part, le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer (UMP), a évoqué dimanche la possibilité de saisir une commission d'enquête parlementaire sur les «affirmations sans le moindre début de commencement de preuve», de Robert Bourgi. Décrivant avec force détails des remises de fonds de la part de responsables politiques africains qu'il aurait opérées auprès de l'ex-président Chirac et de l'ex-Premier ministre Dominique de Villepin entre 1997 et 2005, Robert Bourgi reconnaît toutefois n'en avoir aucune preuve. «Dans ce domaine-là, il n'y a aucune preuve, aucune trace», a-t-il dit hier sur Europe 1. «Et tout le monde le sait, à commencer par ceux à la disposition desquels je vais me mettre, c'est-à-dire les magistrats.» «C'est ma conscience qui m'a dicté le devoir de parler parce que j'ai assisté à trop de choses ignobles. Je veux une France propre à droite et à gauche», a-t-il déclaré sur Europe 1 provoquant la raillerie de son interlocuteur Jean-Pierre Elkabbach : «Il était temps ! Là vous allez amuser la moitié de la France. Ça fait vingt ans que vous êtes hors la loi et là vous vous réveillez et vous dites que vous avez été touché par la grâce ?» Il assure que les pratiques occultes auxquelles il a collaboré ont cessé après l'arrivée de Nicolas Sarkozy à l'Elysée. «Je ne roule pour personne. J'entends dire que je suis conseiller officieux, officiel, du président Sarkozy, c'est faux. Je ne suis le conseiller de personne», s'est défendu Robert Bourgi, ajoutant toutefois : «Mes avis sont sollicités.» Il exonère totalement le président Sarkozy dans cette affaire de valises. Le président Sarkozy — qui lui a remis la Légion d'honneur — et Robert Bourgi se connaissent bien, depuis 1983. Jean-François Probst, ancien collaborateur de Jacques Chirac, affirme dans un entretien au Parisien, que «rien ne s'est arrêté avec Sarkozy». «Bourgi s'est dépensé sans compter pour Sarkozy auprès de nombreux chefs d'Etat africains lors de la présidentielle de 2007» et ce dernier «a filé à Libreville dès juillet 2007 et refait un deal avec Omar Bongo [alors président du Gabon], qui lui aurait donné – dit-on – 1 milliard de francs CFA [environ 1,5 million d'euros]», déclare M. Probst. «Je voudrais démentir de la manière la plus formelle ces affirmations de Robert Bourgi», a déclaré le porte-parole de la présidence sénégalaise. En revanche, l'ex-numéro 2 du régime du président déchu Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire, Mamadou Koulibaly, a abondé dans le sens de M. Bourgi, affirmant, dimanche, que quelque trois millions d'euros avaient bien été transférés d'Abidjan à Paris pour financer la campagne électorale de Jacques Chirac en 2002. Cet ancien proche de M. Gbagbo est actuel président de l'Assemblée nationale ivoirienne. Les déclarations de Robert Bourgi interviennent à moins de 8 mois de l'élection présidentielle à laquelle Dominique de Villepin n'exclut pas de se porter candidat et alors que le procès des emplois présumés fictifs de la ville de Paris a débuté le 5 septembre, en l'absence de l'ancien Président, ancien maire de la capitale française, dispensé d'assister aux audiences en raison de son état de santé. Elles surviennent en outre quelques jours avant l'arrêt de la cour d'appel de Paris dans l'affaire Clearstream, un scandale politique où Dominique de Villepin est accusé d'avoir diffamé le président français Nicolas Sarkozy.