En Algérie, estime Fatiha Talahite, même si «le mouvement de contestation n'a pas pris, il a cependant contraint le gouvernement à changer sa politique». Le pouvoir achète tout avec de l'argent ; des produits alimentaires jusqu'aux… élites politiques.» Cette affirmation, on l'a souvent entendue dans la bouche des leaders politiques de l'opposition en Algérie. Et même ailleurs. Mais est-elle une réalité qui peut justifier, seule, la longévité des systèmes autoritaires dans la région du Moyen-Orient et du Maghreb ? La rente pourra-t-elle acheter la dissidence ? Politologues et chercheurs ont tenté d'apporter des éléments de réponse à ces interrogations. Intervenant hier, au cinquième panel du colloque international El Watan-IME «Le printemps arabe : entre révolution et contre-révolution ?», Myriam Catusse (politologue, attachée de recherche au CNRS), Fatiha Talahite (économiste et chercheure au CNRS) et Fouad Abdelmoumni (consultant international en microfinance et acteur de la société civile marocaine), ont analysé la situation sociopolitique dans les pays du Maghreb. Ils relèvent aussi les enjeux futurs pour les sociétés maghrébines. Le militant marocain Fouad Abdelmoumni retrace l'évolution du système politique marocain depuis 1974. C'est à partir de cette date, dit-il, que le Maroc s'est lancé dans un processus appelé «le processus démocratique». Le pouvoir marocain, «connu historiquement par le recours à la répression», a mis en œuvre d'autres outils pour se maintenir en place en ouvrant la porte des élections aux nouvelles élites. «Parallèlement, le pouvoir va de plus en plus tendre à corrompre les élites. L'Etat n'utilise pas seulement la corruption, mais aussi le chantage qui s'étend même aux élites économiques», explique-t-il. Selon lui, la situation qui y prévalait était dominée par la prédation et la cooptation des ressources du pays car toutes les élites, politiques ou économiques, ont été corrompues par le régime. Mais ce triptyque «répression-manipulation-corruption» est en fin de cycle. «Le décalage créé par la frustration entre acquis et attentes devient énorme. Avec l'avènement des révoltes dans les pays arabes, la situation a changé. Le mur de la peur est tombé», enchaîne Fouad Abdelmoumni, qui note l'absence actuellement d'une alternative : «L'enjeu de ce mouvement de révolte n'est pas de changer un zaïm par un autre, mais de changer les modes de fonctionnement», lance-t-il, précisant que «le Maghreb est une clé majeure de notre existence et de notre avenir». En Algérie, estime pour sa part Fatiha Talahite, même si «le mouvement de contestation n'a pas pris, il a cependant contraint le gouvernement à changer sa politique». «Les dépenses publiques ont coulé à flots pour satisfaire les revendications sociales. Ce qui n'est pas, dans l'absolu, une mauvaise chose. Bien au contraire, au vu de la demande sociale. C'est l'un des effets positifs du printemps arabe et de la mobilisation dans les pays voisins qui, même s'il n'a pas pris en Algérie, a influé sur le comportement du gouvernement algérien et des Etats rentiers en général», explique-t-elle. La spécialiste en économie met toutefois en garde contre les effets néfastes de cette pratique : «Cette politique n'a pas vocation à être poursuivie. Il y aura un retour de manivelle, et il faut s'attendre à la répression une fois ces mouvements essoufflés.»