Ce sixième roman d'Akli Tadjer se présente comme un conte moderne et enjoué. S'il fallait chercher des filiations au livre* d'Akli Tadjer, ce serait peut-être dans un triangle délimité par Romain Gary (plutôt version La Vie devant soi), Frédéric Dard (plutôt version San-Antonio) et Daniel Pennac (plutôt versions initiales). De Gary, on retiendrait cette façon débonnaire mais efficace de mettre en scène l'humanité dans ses grandeurs et ses turpitudes cachées. De Dard, ce serait la gouaille et cette pratique littéraire de l'argot du Milieu ou des marges de la société. De Pennac enfin, ce serait cet imaginaire capable de créer des imbroglios de personnages aux effervescences tragi-comiques. Mais cela pourrait paraître réducteur si l'on n'ajoutait pas que l'écrivain possède son propre style et que ses références s'étendent au-delà de leurs limites apparentes. De fait, on sent bien le triangle précité imbibé par d'autres sources que celle de la société française contemporaine dans ses interactions humaines diverses et leurs lots de préjugés, de frictions mais aussi de rapprochements. Bien qu'en arrière-plan par rapport au lieu de la narration, l'Algérie est présente à chaque tournant de page, sous une forme ou une autre, à travers son histoire ou sa culture, ses personnes ou ses groupes, remémorés ou relatés par le narrateur. Cela donne au final une sauce fictionnelle généreuse et assez particulière. Akli Tadjer force parfois sur les épices mais sans jamais offenser le bon goût, maîtrisant ses effets et, surtout, les progressions et les transgressions narratives. La technique littéraire est bien assurée et l'histoire attrayante. Mohamed, le narrateur, artificier civil (soit préparateur de feux d'artifices) est père d'une charmante adolescente, Myriam, avec laquelle il entretient une relation fusionnelle, d'autant qu'on ne sait rien ou pas grand-chose de la mère, sinon qu'elle est absente. A Toulon, pour y poursuivre ses études, Myriam laisse en plan son petit ami, Gaston, Français de souche, et découvre Malik, «apprenti-imam» qui lui ouvre les portes de l'Islam et l'entraîne dans un militantisme proclamé modéré qui combat l'islamophobie. Le père ne voit pas d'un bon œil la nouvelle toquade de son héritière, autant par méfiance politique que par réaction œdipienne, si l'on peut dire. Rejeté, Gaston s'incruste auprès de Mohamed, lequel passe de longs moments à dialoguer avec les deux peluches de sa fille, Cruella et Lucifer, pour leur confier ses états d'âmes et leur narrer aussi l'histoire de l'Algérie et, en miroir, celle de la France. On se retrouve ainsi, entres autres, à la Villa Susini d'Alger, sinistre lieu de torture des militants FLN durant la guerre de Libération nationale. Ou, plus tard, lors de la décennie dite noire. Entre temps, notre artificier noue une relation amoureuse avec une psychanalyste, veuve de son état, mais à contre-pied de ce que le lecteur peut attendre, c'est lui qui fait parler la dame sur un divan d'alcôve. D'autres personnages, hauts en couleur, parfois aux limites de la caricature, évoluent autour de Mohamed, éclairant ses rapports ambigus avec la société mais également son pays d'origine et celui d'adoption. Jusqu'à la fin du roman où – ne déflorons rien –, on découvrira qui est qui. Mais ce n'est pas tant dans son dénouement que ce roman tire sa substance, mais bien dans son expression continue où l'écriture, sobre et rythmée, s'efface devant la richesse du récit où dominent la dérision, l'ironie et parfois-même le burlesque. C'est une lecture qui fait sourire, voire rire, en gardant en filigrane ses ressors dramatiques. Il était une fois, peut-être pas est le sixième roman d'Akli Tadjer. Réédité en Algérie par les éditions APIC, il avait obtenu, lors de sa parution en France sous l'enseigne J.C. Lattès, le prix Révélation littéraire de l'année 2009. L'ouvrage paraît parfois forcer le trait du consensualisme intercommunautaire et donne alors l'impression de vouloir «brasser large» en termes de lectorats. Ces éventuels relents de marketing éditorial se trouvent contrebalancés par le propos récurrent de l'auteur qui consiste globalement à mettre en valeur le partage de la condition humaine par tous les protagonistes du roman (et donc de la société), quelles que soient leurs origines, leurs cultures ou leurs situations. Akli Tadjer s'efforce d'ailleurs d'équilibrer les poussées d'angélisme de son narrateur par des retours à l'histoire et à sa froide dureté. Sous la désinvolture du ton, il parvient même à signaler et/ou souligner des horreurs de la période coloniale, du terrorisme des années quatre-vingt-dix, mais également d'autres lieux et moments de l'histoire récente. Il reste que cet ouvrage se laisse lire avec bonheur. Pour autant, ce plaisir ne saurait être gâché par une certaine vigilance, celle que tout lecteur averti – et vous l'êtes – doit développer à l'égard de tout conte, soit se laisser prendre par l'émerveillement en gardant bien ouverts les yeux de l'imagination. D'ailleurs, le «peut-être pas» du titre ne serait-il pas une invitation discrète de l'auteur à ne pas prendre au pied de la lettre la première partie de son énoncé : «il était une fois» ? Ou est-ce une façon d'apostropher les lecteurs pour leur dire que ce conte ne pourrait avoir de réalité que s'il était écrit par eux ? *Akli Tadjer, Il était une fois, peut-être pas. Roman. Editions APIC, Alger, oct. 2010.