Pendant cinquante ans, les multiples gouvernements qui se sont succédé ont tous essayé d'ériger une économie productive hors hydrocarbures. Nous avons été un vaste champ d'expérimentation de nombreux modèles économiques. Mais les indicateurs de fond (taux d'utilisation des capacités, productivité, innovation, recherche et développement, multiplicateur, etc.,) montrent qu'à aucun moment, aucune des stratégies mises en place n'était en train de réussir. Je sais que beaucoup d'Algériens pensent que nous étions sur la bonne voie durant les années soixante-dix. Mais ce n'était qu'une illusion d'optique. En économie peu de connaissances sont de dangereuses connaissances. Nous sommes le seul pays au monde où une vaste majorité d'économistes pensent que l'hyper étatisme et la planification centralisée auraient pu induire une économie productive compétitive. Nous n'avons pas fait le deuil de cette période, ce qui explique les récentes dérives ultracentralisatrices. Mais notre préoccupation majeure est plus importante. Elle est ailleurs. Durant cinquante ans, nous avions eu une suite de sursis qui nous permettaient de différer la réussite et de financer les échecs. Mais là, la situation est grave. Il nous reste le dernier sursis, à peine une décennie, pour rompre avec la malédiction des échecs et entamer une trajectoire très différente des sentiers traditionnels. Réussirons-nous à le faire ? Tout va dépendre des politiques économiques de la décennie de la dernière chance. Ce qui nous attend L'analyse des différentes informations transmises par nos meilleurs experts en énergie est très préoccupante. Nous faisons face à trois graves menaces. En premier lieu, les quantités d'énergie exportées au-delà de 2012 risquent d'être beaucoup plus faibles que les volumes actuels. En second lieu, les prix risquent d'être beaucoup plus réduits que leur niveau actuel (ce n'est pas une certitude). En troisième lieu, nous serons presque cinquante millions d'habitants. Imaginons le scénario le plus défavorable, un instant. Le pays se retrouvera avec des exportations de 5 à 7 milliards de dollars avec 50 millions d'habitants et pour une longue période. Si l'économie productive hors hydrocarbure ne prend pas la relève, les déséquilibres économiques et sociaux seront fulgurants. Le chômage sera menaçant et tous les secteurs vont connaître de sérieux problèmes : logements, éducation, soins, transports, etc. Mais il y a une autre idée reçue très répandue dans notre pays. Elle consiste à dire : «Tant mieux si on manque d'énergie. Nous serons obligés de compter sur-soi et développer d'autres secteurs (agriculture, PME/PMI, tourisme, etc. ;) dont les retombées ne vont pas se tarir». Ce n'est que très marginalement le cas. Cette analyse populiste évacue la culture institutionnelle et les anticipations des citoyens. Lorsqu'on habitue un peuple à un mode de comportement et un état à distribuer une rente au lieu de créer des richesses, il serait extrêmement compliqué d'opérer les mutations en temps voulu. De surcroit, le passage abrupt à une économie productive nécessite au moins une période d'adaptation de 4 à 6 ans. S'il se fait en période de disette (chute des revenus des hydrocarbures) les remous sociaux seront énormes et il sera difficile de prévoir la trajectoire sociale et économique du pays. Autant dire que si la construction d'une économie productive ne démarre pas dans les quatre années qui suivent, nous prenons de sérieux risques avec l'avenir du pays. L'expérience de certains pays est édifiante à cet égard. L'Indonésie et surtout la Malaisie ont construit juste à temps des secteurs économiques compétitifs qui ont pris la relève de l'énergie. Ils ont seulement fait ce qu'ont réalisé les pays qui ont réussi la transition d'une économie planifiée à une économie de marché. Nous allons donner les grandes lignes de leurs réformes. Autrement dit, il n'est ni facile ni sûr qu'une économie dénuée de rente induise automatiquement la conception de bonnes politiques économiques ou la mutation des personnes en citoyens industrieux et consciencieux. La culture économique enracinée chez nos citoyens et dans nos institutions n'est pas propice pour la création d'une économie compétitive en dehors de toute rente. La mutation de cette culture n'a même pas commencé. Mais tout n'est pas perdu Un scientifique n'est ni un optimiste naïf ni un pessimiste par intuition. Il a besoin de repères, d'indicateurs clairs pour se positionner. Puisque nous avons une dernière chance, pourquoi ne pas l'exploiter ? Dès lors que les décisions appropriées seront prises, alors on serait en droit de rêver d'une Algérie, pays émergent. Mais pour le moment, tous les indicateurs nous incitent à la crainte. Nous avons quatre axes à privilégier, qui sont : -Privilégier le développement qualitatif humain : recycler tous les opérationnels présents en plus de restructurer tout le système éducatif, en vue d'une mise à niveau comparativement aux meilleurs pays dans ce domaine ; -Moderniser le management de nos entreprises et de toutes nos institutions à but non lucratif ; -Orienter le maximum de ressources vers la création de PME/PMI et en direction des grandes entreprises publiques et privées qui réussissent, en libérant les initiatives, améliorant le climat des affaires et cessant de financer les entreprises qui échouent et qui importent en l'état ; -Réorganiser l'Etat, en créant une institution cerveau et tous les outils dont on a besoin pour gérer une nation moderne (simulateurs, stratégie de développement système d'information économique) et en organisant une concertation permanente avec les parties prenantes : syndicats, patronats, ONG, centres de recherche, etc. Un pays ne peut jamais se développer avec des ressources humaines peu compétitives. Les nôtres ne le sont pas. Mais elles ont une base appropriée pour s'améliorer rapidement avec des recyclages. C'est dans cette direction que nous devons orienter le maximum de ressources. Nous avons exagéré le financement d'infrastructures. Lorsque les entreprises et les institutions de l'état sont défaillantes, on obtient toujours un quart des dépenses consenties en infrastructures, le reste s'évapore en reste à réaliser, corruption, mauvaise gestion et malfaçon. Il fallait qualifier les ressources humaines et les institutions d'abord. Ces grandes orientations nécessitent des multitudes de clarifications et d'explicitations. Le diable est toujours dans les détails. Par exemple, de nombreuses instances proposent la création d'un super ministère de l'Economie. C'est un pas dans la bonne direction. Mais il sera nettement insuffisant. A l'étape ou nous en sommes, nous avons beaucoup plus de créer une «institution cerveau» qui regroupe nos meilleurs experts, se concerte avec toutes les parties prenantes, dispose de tous les outils pour concevoir une stratégie de développement ouverte, cohérente ainsi que ses modes opératoires. Nous sommes en train de construire des fondamentaux. La réorganisation de l'Etat doit privilégier les aspects techniques à la place des processus administratifs. Nous ne pouvons détailler ici les multitudes facettes du programme de redressement. Mais l'essentiel demeure de commencer à en prendre conscience et de dialoguer avec l'ensemble des composantes de la nation pour la sauver. Il faut voir grand et construire un pays émergent. Cela est possible, mais continuer avec les mêmes politiques économiques actuelles ferait de nous un pays déliquescent.