Les rencontres «Esprit Frantz Fanon» d'Alger se sont poursuivies, hier de 9 à 14h, au complexe arts et culture Laâdi Flici du boulevard Frantz Fanon. Le public a eu droit à six communications d'une grande teneur. Rappelons que ce colloque, auquel participent des universitaires venus d'Asie, du Moyen-Orient, d'Afrique, d'Afrique du Nord et de France, est organisé à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance algérienne et est consacré à la pensée de Fanon, qui est l'une des figures parmi les plus marquantes de la guerre de Libération. Les intervenants ne se sont pas arrêtés à la lecture et à l'analyse de la pensée du célèbre Algéro-Martiniquais, mort en décembre 1961 des suites d'une leucémie. Ils se sont tous penchés sur le présent et, notamment, sur les relations Nord-Sud, particulièrement dans leurs aspects affectés par les adaptations auxquelles se sont contraints le néo-colonialisme et l'impérialisme. L'historien Daho Djerbal a lu la contribution «Relire Fanon pour mieux comprendre le Monde arabe» que devait présenter l'universitaire et homme politique libanais Georges Corm ; ce dernier a été empêché de voyager par un souci de santé. G. Corm reste persuadé que la lecture de Fanon «peut continuer à être féconde pour déchiffrer le sens des évolutions et soubresauts des sociétés arabes et l'inféodation de leurs dirigeants aux Etats-Unis et à l'Europe, ainsi qu'à la bureaucratie des organisations internationales et des société multinationales». Pour le penseur libanais, Fanon, «qui a prôné la déconnexion par rapport à l'Europe colonisatrice, a mis en garde (…) contre les compromissions que pourraient faire les élites du tiers-monde pour recevoir les miettes de l'économie néocoloniale post-indépendance». C'est le Camerounais Bernard Founou-Tchuigoua qui a pris le relais avec une question : «Auto-décolonisation, Fanon avait-il raison ?» Expulsé de France au début des années soixante, Founou-Tchuigoua connaît bien l'Algérie pour avoir enseigné à Alger de 1963 à 1972. Il affirme : «Fanon peut nous aider à avancer sur la voie d'une alternative socialiste.» Pour cela, il est indispensable de renverser les relations Nord-Sud, comme cela a été le cas avec les luttes pour les indépendances. Il explique : «La problématique de Fanon nous permet de constater que, vus du Nord, les mêmes rapports Nord-Sud fonctionnent d'une époque à l'autre selon un schéma proche de la réincarnation : la hiérarchisation est maintenue et revient sous d'autres formes.» L'Indien Prabir Purkayasha s'est pour sa part intéressé à «La nation à l'heure de la mondialisation». L'analyse est bien sûr menée à la lumière des concepts développés il y a plus de 60 ans par Fanon. Définissant la notion de nationalisme chez le colonisé et le colonisateur, l'universitaire indien estime que «la question-clé identifiée par Fanon était de savoir comment lancer un mouvement de libération pour forger une nation nouvelle, sans se muer en victime d'un nationalisme européen inversé. Le défi auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est de résister à la néocolonisation de l'espace économique dans le cadre du paradigme de la mondialisation actuelle». L'Egyptien Helmy Shaâraoui nous est, lui, venu avec l'expérience fraîche de l'universitaire qui a participé aux rassemblements de la place Tahrir, du Caire tout au long qu'aura duré la révolution dans son pays. Il estime, dans une intervention intitulée «Les révoltes populaires actuelles à la lumière de Fanon», qu'il est nécessaire de convoquer la pensée de Fanon en ces moments de mouvements populaires et de manifestations drainant des millions de personnes et qui se sont soldées par le renversement des pouvoirs autoritaires en Egypte et en Tunisie. Selon son analyse, il faut relire Frantz Fanon, notamment les développements qu'il consacre à la violence coloniale à laquelle ressemble la violence exercée par les élites qui ont pris le pouvoir suite à la chute du colonialisme. Il rappelle à ce propos aussi le comportement de certains partis politiques qui étaient tentés par la négociation au moment où les masses se battaient sur le terrain en maintenant la pression sur les dirigeants contestés. Il explique que les élites des partis espéraient arriver à des changements en douceur pour préserver les intérêts des bourgeoisies. L'Indien Padmanabhan Krishna Murphy, président du réseau mondial Fanon, succéda à la tribune à l'Egyptien avec une communication intitulée «Le penseur révolutionnaire universaliste». Murphy démonte le mythe de «l'Inde, la plus grande démocratie du monde» en se basant sur un fait encore douloureux de la société de son pays. Il affirme que tant qu'existent les castes, on ne peut pas parler de démocratie. Le Palestinien Khayri Mansour – «Fanon, l'idée d'une révolution audacieuse» – restitue les conditions d'apparition d'intellectuels révolutionnaires qui vont mener le combat sur différents fronts. Ces rencontres universitaires sur l'esprit Fanon seront clôturées aujourd'hui à 14h pour laisser place, jusqu'au 10 juillet, à des activités artistiques. Rappelons que les rencontres «Esprit Frantz Fanon» se sont ouvertes lundi matin avec, entres autres, une communication du célèbre universitaire Samir Amin.