Le Printemps arabe et ses migrants auraient-ils fait de la Suisse un point de chute idéal ? A en croire le rapport annuel de l'Office fédéral de la police (Fedpol), finalisé fin juin 2012, l'année 2011 aura été celle de tous les records pour les autorités suisses de lutte contre le blanchiment d'argent. Plus de 3,3 milliards de francs et pas moins de 1625 communications de soupçon transmises par la place financière suisse, deux «performances» que la confédération helvétique et l'ensemble des cantons la composant n'ont jamais connues depuis la création, en 1998, du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS). En l'espace d'une année, les communications de soupçon ont bondi de 40%, passant de 1159 en 2010 à 1625 en 2011. Les plus de 3 milliards de francs qu'elles représentent au total correspondent aux montants des années 2009 et 2010 réunies, indique le document de Fedpol, dont une copie nous a été transmise par une source du service médias. A cette situation inédite, une explication majeure : l'avènement du Printemps arabe. Car chaque époque, chaque circonstance a sa fraude. Et celle de ces derniers temps semble avoir fait ses choux gras avec les mouvements migratoires et les mouvements de capitaux consécutifs à la vague de révoltes démocratiques dans le Monde arabe. Alors qu'aucune communication n'avait été enregistrée en rapport avec les pays du Maghreb et du Moyen-Orient en 2010, les 135 cas signalés au MROS l'an dernier représentent 8,5% de toutes les annonces, est-il encore indiqué dans le rapport de Fedpol. Liés à l'Egypte, la Tunisie, la Libye ou la Syrie, ces 135 cas ont, à eux seuls, totalisé pas moins de 600 millions de francs. Et le nombre de bénéficiaires provenant des régions en question a triplé par rapport à 2010. Le Printemps arabe et ses migrants auraient-ils fait de la Suisse un point de chute idéal ? Pour les organismes helvètes de lutte contre l'argent sale, le marché secret de l'argent n'est pas une exclusivité suisse. Attachés à la préservation de la sérénité de leur pays, ces organismes veillent scrupuleusement à ce que l'image de marque de la plus célèbre place financière ne soit entamée davantage. «Il ne faut pas déduire de cette tendance que le blanchiment d'argent est en augmentation. La Suisse ne compte d'ailleurs ni plus ni moins de cas de blanchiment que d'autres places financières de même type», se défend le Fedpol, mettant plutôt en avant le sentiment de responsabilité et la prise de conscience réelle des intermédiaires financiers qui ne cessent de se faire sentir. «Les banques, qui assurent deux tiers des communications, ont fait beaucoup d'efforts en développant leurs systèmes de contrôle interne. Elles sont désormais suivies par les autres intermédiaires, en particulier les sociétés de transfert de fonds, dont les communications ont été quatre fois plus nombreuses qu'en 2010.» Aussi, précise Fedpol dans son rapport dont nous détenons une copie, ce sont bien les ordonnances d'urgence du Conseil fédéral prononcées début 2011 et instituant des mesures à l'encontre de certaines personnes originaires d'Egypte ou de Tunisie qui ont donné les bases aux dénonciations de soupçon de blanchiment. Ce qui expliquerait en partie le passage au triple du nombre de bénéficiaires potentiels de ces actes provenant du Moyen-Orient en 2011 comparativement à l'année 2010. S'agissant de l'origine des capitaux placés dans les banques suisses et sur lesquels pèsent des soupçons de recyclage, Fedpol relève que «l'escroquerie demeure l'infraction préalable présumée à l'origine du plus grand nombre de communications». La corruption, l'infraction la plus répandue parmi les communications en lien avec l'Egypte, maintient, quant à elle, une tendance haussière eu égard aux montants en jeu : 791 millions de francs pour à peine 7 communications de soupçon. Par ailleurs, malgré le tour qu'a pris l'activité terroriste après l'éclatement des crises dans le Monde arabe et le Maghreb, le nombre et surtout le montant des communications en rapport avec le financement du terrorisme se sont, curieusement, sensiblement repliés, est-il souligné dans le même rapport. En termes relatifs, le MROS en a reçu 13 pour un montant total d'à peine 152 000 francs contre une dizaine pour 23 millions en 2010. Bien que dans la plupart des cas, les communications sont prises au sérieux et ne restent pas sans suite. En effet, saisie par les organismes de lutte antiblanchiment d'argent, la justice helvétique finit souvent par engager des poursuites à l'encontre des personnes ou sociétés suspectées. En témoignent les 7417 communications retransmises de 2002 à fin 2011 aux autorités pénales, dont 61% ont fait l'objet d'une décision. Aussi, sur les 4536 communications traitées par les juges suisses pour décider des suites à donner, seulement 5,8% ont abouti à une condamnation. Pour l'heure, une procédure pénale a été ouverte dans 42,6% des cas. C'est dire que la reconnaissance internationale que s'est attirée le dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent, la Confédération suisse ne la doit pas au seul volume des communications de soupçon issues de la place financière mais également et surtout au suivi judiciaire dont elles font l'objet. La tendance à la hausse du taux de retransmission aux autorités de poursuites pénales en est une preuve. De 87% en 2010, ce taux est passé à 91% en 2011, il pourrait dépasser 95 ou 96% en 2012. La qualité et la fiabilité des communications, souvent contestées, sont aujourd'hui établies, se félicitent Fedpol et le MROS.