L'Algérie n'a pas été occupée pendant 132 ans par les Français. «C'est une contre-vérité», a déclaré samedi après-midi l'universitaire Zoheir Ihaddaden à la salle Ali Maâchi au Palais des expositions des Pins maritimes lors d'une conférence à la faveur du 17e Salon international du livre d'Alger (SILA). Le thème de la conférence, animée par le journaliste et écrivain Mohamed Abbas, était «Des luttes et des mots, l'histoire du nationalisme et de la Révolution dans l'édition algérienne». La souveraineté nationale n'a, selon Zoheir Ihaddaden, disparu qu'après 50 ans de l'entrée des Français en Algérie. «Il ne faut pas tomber dans le piège de ceux qui disent que le colonialisme français a commencé en 1830. C'est faux, car l'occupation ne concernait que la ville d'Alger. Le reste du pays n'était pas occupé. A Constantine, Ahmed Bey exprimait la souveraineté algérienne jusqu'à 1837, l'Emir Abdelkader jusqu'à 1847. A Tlemcen, un Madjliss Echoura a été installé pour exprimer cette souveraineté. Le colonialisme français n'a pas pris le pays que vers 1881, après la révolte de Cheikh Bouamama», a-t-il argué. Selon lui, la plupart des historiens français qui ont écrit sur l'Algérie étaient favorables aux thèses colonialistes. «Même s'ils n'étaient pas adeptes du colonialisme, ils se sont mis au service de l'ordre colonial. Leur but était d'effacer l'histoire des Algériens. Nous n'avions aucun passé, selon eux», a-t-il accusé. Il a cité l'exemple de Charles André Julien. Le conférencier a qualifié de mensongères les thèses occidentales qui prétendent que le Maghreb a été toujours une région occupée. «Ils ont évoqué les dominations phénicienne, carthaginoise, romaine, vandale, arabe, turque puis française. Pour eux, le Maghreb n'a jamais été maître de lui-même. C'est un mensonge, faux, car notre histoire remonte à plus de 5000 ans. Notre histoire est plus ancienne que celle des pharaons. La civilisation égyptienne s'est faite grâce à notre contribution. Il n'y a eu que deux siècles de domination étrangère. Le reste du temps, nous étions maîtres chez nous», a relevé Zoheir Ihaddaden qui se prépare à publier un livre abordant cette question. Pour sa part, le sociologue Mustapha Haddab, qui a pris part à la conférence, a appelé à établir un bilan détaillé sur tout ce qui a été écrit sur les différentes périodes historiques de l'Algérie. «Cela doit concerner tant les récits que les romans qui ont un lien avec l'histoire. Cela nous permettra d'évaluer l'édition. Il y a un consensus au sein de la société pour que les faits historiques liés au mouvement national soient écrits pour ne pas les perdre. Il n'y pas d'unicité dans l'écriture de l'histoire. Il y a toujours des versions, des lectures et des interprétations. Il n'existe pas d'objectivité à 100% dans l'écriture de l'histoire», a-t-il noté. Il a rappelé le travail fait dans la revue Inssaniyat par les historiens Ouanassa Tengour et Fouad Soufi : «Cette initiative doit être complétée par d'autres travaux», a-t-il plaidé. Rendant hommage à l'historien Mahfoud Keddache, auteur de deux ouvrages marquants sur le mouvement nationaliste algérien, Mohamed Abbas a relevé que l'écriture de l'histoire obéit à des considérations idéologiques. «Les versions varient selon les tendances politiques. Dans le mouvement national algérien, il y a, par exemple, trois courants : centraliste, messaliste, révolutionnaire. En plus des oulémas, des partisans de Ferhat Abbas, les communistes. Chacun sa version. Il y a donc un manque d'objectivité», a-t-il observé. Dans un autre débat organisé samedi à la salle Moufdi Zakaria au Palais des expositions, l'historien Daho Djerbal est revenu sur son dernier ouvrage, L'organisation spéciale de la Fédération de France du FLN, qui vient de paraître aux éditions Chihab. Il était accompagné de l'historien René Galissot qui, lui, a abordé son essai, Henri Curiel : le mythe mesuré de l'histoire. Daho Djerbal a expliqué comment les premières structures organisationnelles du FLN en France avaient été accueillies par l'hostilité des militants du PPA-MTLD. «Les militants du FLN ont été combattus par leurs propres frères. Il y a eu même des tentatives d'assassinat. C'était un combat au corps-à-corps. Ce n'était pas un échange d'idées dans une salle. La deuxième hostilité avait été celle des autorités françaises. La plupart des militants de l'organisation clandestine du FLN n'étaient pas portés dans les fiches de la police française», a-t-il souligné. Sur le plan stratégique, l'installation du FLN en territoire français avait pour objectif, selon lui, d'élargir le front et desserrer l'étau sur les nationalistes algériens dans les maquis et dans les villes. Il a rappelé que l'armée coloniale française avait déployé en Algérie plus de 400 000 hommes après le déclenchement de la lutte armée par le FLN-ALN. «Ce déploiement militaire est le plus important de l'histoire contemporaine», a souligné Daho Djerbal. Selon lui, l'opinion publique française était à l'époque majoritairement contre l'indépendance de l'Algérie. Constat que René Galissot a expliqué autrement en reprenant les sondages de l'époque. «Jusqu'à 1970, plus de 70% des Français étaient partisans de l'Algérie française et contre l'indépendance», a-t-il appuyé. Selon René Galissot, Henri Curiel, militant français anticolonialiste et communiste, n'a jamais été «un agent» de Moscou. «Au contraire. Il n'était pas du tout apprécié en Union soviétique», a-t-il noté. Père du journaliste Alain Gresh, Henri Curiel avait rejoint puis animé le réseau Jeanson des porteurs de valises. Un mouvement qui a soutenu l'action militante du FLN. Henri Curiel avait été mis en prison pendant dix mois en raison de cet engagement.