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Le français à l'école primaire : réconcilier le manuel scolaire avec l'élève
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Publié dans El Watan le 21 - 11 - 2012

La réforme éducative, entamée en 2003, avait suscité chez bien des acteurs éducatifs un immense espoir de par ses innovations pédagogiques et méthodologiques.
Les enseignants de FLE (français langue étrangère) étaient les premiers à espérer une meilleure considération de la discipline qu'ils enseignent. Mais cet espoir s'est vite estompé pour laisser place au doute et au désenchantement, du fait que les carences enregistrées depuis l'ordonnace n°35-76 du 16 avril 1976 semblent bien perdurer, malgré les beaux discours de changement. Les causes de cet échec recommencé sont évidemment multiples et nous ne pouvons les insérer toutes dans une seule contribution. Même si, à la lumière de la réforme éducative de M. Benbouzid, les programmes semblent ambitieux, les manuels censés les matérialiser par des actes pédagogiques et didactiques concrets sont, le moins qu'on puisse dire, loin de répondre à l'exigence de qualité que requiert un projet de réforme d'une telle envergure.
Pis, au vu du manque de moyens de duplication dont souffrent la plupart des écoles primaires et le volume horaire très réduit consacré à l'enseignement/apprentissage du français, le manuel scolaire, supposé être seulement un support d'appoint à la mise en place d'un programme, est devenu une sorte de carcan, tuant dans l'œuf tout effort créatif des enseignants.
Apprendre à écrire mal
L'un des principaux objectifs de l'enseignement du FLE en 3e année primaire est l'initiation à l'écriture. L'élève découvre durant cette première année d'apprentissage du français, entre autres, les deux types d'écriture, à savoir le script (caractères d'imprimerie) et la cursive (lettres manuscrites). Si pour le premier type d'écriture l'enfant est seulement appelé à acquérir la capacité d'établir la correspondance grapho-phonologique, ce n'est pas le cas du deuxième type, où il est attendu de lui de lire et de reproduire les signes graphiques. Pour cela, en raison de la crédibilité dont jouit le livre dans les représentations de l'enfant, les modèles de cursives donnés dans son manuel constitueraient pour lui une référence allant jusqu'à faire fi des explications de l'enseignant. Et c'est souvent plus facile d'apprendre que de désapprendre quelque chose que l'on a mal appris !
C'est pourquoi, il est aberrant de constater que dans le livre de 3e AP, les polices cursives utilisées ne sont pas des polices de caractère scolaire «standard». Pourtant, une grande variété de polices d'écriture scolaires «correctes» sont librement téléchargeables sur le Web (je cite au hasard «cursif» et les différentes polices «écolier»). Quant à l'organisation des activités d'apprentissage de l'écriture, la taxonomie de Bloom est, à notre avis, la mieux appropriée. L'élève identifie d'abord la lettre à étudier dans un contexte (lecture de mots contenant la lettre à étudier et découverte du signe graphique à travers son son), ensuite il étudie la lettre isolée (apprentissage de l'écriture de la lettre en-dehors de tout contexte) pour, enfin, étudier la lettre dans un contexte (lecture et écriture de mots contenant la lettre étudiée). L'expérience du terrain a prouvé l'efficacité de ce modèle pédagogique proposant une classification des niveaux d'acquisition des connaissances, allant de la simple restitution de faits jusqu'à la manipulation complexe des concepts.
Des cliparts en guise d'illustrations !
Des recherches sur l'image et ses usages pédagogiques s'accordent sur l'idée que l'illustration joue un rôle intersémiotique prépondérant dans l'apprentissage des langues secondes ou étrangères. Elle constituerait, selon eux, une sorte de système de traduction entre la langue maternelle et la langue cible. Qui d'entre nous n'a pas en mémoire les images que l'on a longuement scrutées des yeux dans nos livres du primaire ? Comme par exemple le portrait de Fouroulou du Fils du pauvre de Feraoun, les images, illustrant les textes extraits d'Un voyage en ballon de Jules Vernes, ou de dar sbitar de La grande maison de Dib, pour ne citer que celles-là, sont restées gravées dans notre mémoire. C'était des dessins simples, mais de vraies œuvres d'auteurs qui nous ont permis l'accès à l'apprentissage du langage.
Notre propos n'est pas d'épiloguer ici sur le pouvoir persuasif et explicatif de l'image ou sur la théorie des paratextes, mais de rappeler la pertinence du sujet, tout en faisant remarquer que les manuels du FLE de l'enseignement primaire ne lui accordent pas pourtant l'importance qu'il mérite. En effet, au lieu de confier cette tâche (ndlr, celle de l'illustration) à des spécialistes, on a préféré remplacer le dessin authentique d'artiste par un usage abusif des images clipartes qui ne conviennent souvent pas aux textes qu'elles prétendent illustrer !
Enfin, en ce qui concerne l'aspect design, les manuels sont également loin de refléter ce qui se fait de nos jours sous d'autres cieux, sachant qu'à l'heure du progrès infographique, mille et une possibilités d'allier esthétique et efficience didactique sont offertes.
La langue ne s'apprend pas ; elle se vit
Le manuel devrait être d'abord une tribune où l'enfant retrouve ce qu'il sait déjà. L'élève n'est jamais une page blanche : outre ses qualités innées, il arrive à l'école avec un bagage cognitif non négligeable fait de sa culture, de son éducation, de ses expériences, de sa langue maternelle, dont on doit nécessairement tenir compte dans la conception des programmes scolaires et des manuels. On ne peut apprendre qu'à partir de ce qu'on sait déjà. A titre d'exemple, en découvrant dans son livre une image représentant un personnage d'un dessin animé (et il en connaît et en aime déjà plusieurs), l'enfant fait spontanément appel à son savoir culturel qu'il mobilise dans une situation d'apprentissage concrète, où il va à la découverte de «ce qu'il ne sait pas déjà», tels une lettre alphabétique, un mot, une phrase...
Dans le même ordre d'idées, dans les premières années d'apprentissage d'une langue étrangère, il est plus judicieux de privilégier le lexique dont on peut aisément retrouver l'équivalent dans la langue maternelle de l'apprenant. En effet, l'affectif (qui renvoie aux attitudes, aux émotions et à la confiance en soi) joue un rôle crucial dans l'apprentissage d'une langue étrangère. L'élève est facilement découragé devant la première difficulté (des mots inconnus par exemple) et devient de plus en plus inquiet face à la compréhension d'une langue étrangère.
Force est de constater que les livres scolaires font pratiquement abstraction du savoir et de l'expérience de l'enfant. Oubliant par là même que l'enfant est un être de besoins, l'enseignant n'impose pas à l'apprenant de façon verticale les besoins en matière d'apprentissage, mais l'aide à découvrir les siens à partir de sa réalité d'enfant. Autrement dit, c'est en se découvrant soi-même que l'enfant découvre et apprend. Et pour couronner le tout, les textes d'auteurs algériens sont pratiquement inexistants de nos jours dans les manuels du primaire — à l'exception d'un texte d'Assia Djebbar et d'un autre de Taos Amrouche inclus dans le livre de lecture de 5e AP —, tandis qu'il y a quelques années la littérature nationale d'expression française y couvrait la quasi totalité de l'espace textuel… Cette «désalgérianisation» du manuel scolaire contribuera à coup sûr à la mort des valeurs culturelles, idéologiques et morales nationales. Cette question est tellement délicate, qu'elle ne doit plus être traitée sous une approche passionnelle, mais plutôt être confiée à des pédagogues compétents, mettant l'intérêt des générations futures et du pays au-dessus de toute considération doctrinale.
L'approche communicative biaisée
L'instauration de l'Approche par compétences (APC) en lieu et place de la pédagogie par objectifs (PPO) est encore loin d'apporter l'innovation escomptée sur le terrain pratique. La baisse du niveau en français et dans bien d'autres matières ne fait que s'accentuer d'une année à l'autre. Pis, ce changement de paradigme a plongé l'école algérienne dans une ambivalence de systèmes sans précédent. Et cela se constate même dans les manuels supposés être une référence au niveau méthodologique, si bien qu'on peut relever plusieurs inadéquations entre les contenus d'enseignement et les programmes !
Théoriquement, l'APC des enseignements de langues, mettant l'accent sur la socialisation des savoirs, privilégie l'approche communicative qui, elle, vise à installer chez l'apprenant une compétence plus large dite : la compétence à communiquer langagièrement. Dans cette optique, l'élève mobilise des savoirs (des graphèmes, des lettres, des sons, des mots, etc.), savoir-faire (conjuguer un verbe, accorder un verbe, mettre des mots au féminin, au pluriel…) et savoir-être (autocorrection, vérification de ses phrases, exercer sa vigilance orthographique…), dans une situation de communication réelle ou sociale (écrire un e-mail, une demande quelconque, exprimer et défendre son opinion lors d'un débat, etc.).
Cette approche redonne à la langue son rôle premier d'outil de communication et d'interaction sociale. Sur un plan méthodologique, l'apprenant est mis au centre des préoccupations pédagogiques, il est le principal acteur de ses propres apprentissages et développe des capacités d'analyse, de synthèse et d'application. L'enseignant est un guide, un tuteur, un informateur expert, un questionneur et il renvoie l'apprenant à ses propres questionnements ; il met en place un système d'entraide favorisant le conflit sociocognitif, où l'élève fait appel aux autres apprenants et à l'enseignant pour apprendre, confronte son savoir à celui des autres et développe des capacités d'apprendre à apprendre (c'est l'approche socioconstructiviste).
Or, on constate sur le terrain la subsistance des méthodes didactiques traditionnelles axées prioritairement sur la mémorisation et la transmission des savoirs et accordant une importance presque exclusive aux seules connaissances. On peut noter également que les activités proposées aux apprenants ne prennent généralement pas en compte les paramètres de la situation de communication, tels que les caractéristiques des interlocuteurs et leurs relations, le lieu et moment de communication, le but de l'échange, l'intention de l'émetteur et l'interprétation du destinataire. Or, c'est en apprenant à prendre en compte la situation que l'interlocuteur choisit les mots et le registre qui convient.
Par ailleurs, comment peut-on parler de compétence de communication orale quand on sait que dans les livres de 4e et 5e AP, aucun dialogue n'est inclus ? A la place de ceux-ci, on retrouve des textes généralement adaptés et les séances d'oral se transforment tout bonnement en séances de compréhension de l'écrit ! Pourquoi compliquer quand on peut faire simplement selon des méthodes universellement connues et reconnues ?
Conclusion :
Le manuel scolaire est un outil pédagogique-clé de tout système éducatif. De ce fait, l'un des défis du nouveau ministre de l'Education est incontestablement de revoir de fond en comble les manuels actuels et d'œuvrer à mettre à la disposition des apprenants et des enseignants des ouvrages pédagogiques profondément attachés aux valeurs nationales et à la hauteur des exigences de notre époque, marquée par la mondialisation-globalisation et le progrès scientifique et technologique. D'autant plus que le français — première langue étrangère — est conçu comme un outil d'«ouverture sur le monde et moyen d'accès à la documentation et aux échanges avec les cultures et les civilisations étrangères» (Loi d'orientation sur l'éducation nationale n°8-04 du 23 janvier 2008).


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