Les cinq jours d'émeutes à Siliana ont mis à nu les espoirs déçus de la «révolution du Jasmin». Celle-ci est progressivement en train de se transformer en une poudrière sociale qui paraît difficile à désamorcer par les islamistes au pouvoir. Depuis l'été, chaque semaine apporte son lot de grèves, de manifestations et de débrayages sauvages, touchant aussi bien l'industrie, les services publics que les transports ou le commerce. Et comme à l'époque de la révolution en 2011, c'est dans les régions de l'intérieur, marginalisées économiquement depuis des décennies par rapport à la côte, que se cristallisent les conflits. Car si l'arbitraire du régime de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali a été un facteur de la révolte, c'est avant tout la misère et le chômage, en particulier des jeunes, qui a motivé les foules. Selon de nombreux spécialistes de la Tunisie, le gouvernement sous-estime le chômage qui s'établit officiellement autour de 18% de la population active, soit quelque 700 000 personnes sans emploi. Ces douze derniers mois, de nombreuses régions se sont enfoncées dans la crise, et bien souvent, il s'agit de celles qui étaient déjà déshéritées. Ainsi, le ministère de l'Industrie relève qu'à Sidi Bouzid, le berceau de la révolution, les investissements ont baissé sur les dix premiers mois de 2012, par rapport à la même période l'année d'avant, de 30% et les offres d'emplois de 22%. Le gouvernement Ennahda, visiblement en panne d'imagination, ne dispose d'aucune ressource financière pour répondre à la demande des chômeurs et acheter la paix sociale. A Siliana, au sud-ouest de Tunis, où des violences viennent de faire 300 blessés, le tableau est plus sombre encore, avec respectivement une chute de 44,5% pour les investissements et de 66,3% pour l'emploi. Toute cette donne fait que, pour le moment, les investisseurs fuient la Tunisie. Le climat économico-social est aussi alourdi par les conflits acerbes opposant les islamistes d'Ennahda et leurs détracteurs, bloquant l'adoption de la nouvelle Constitution et la voie vers des élections indispensables pour clarifier le jeu politique. En attendant, à chaque flambée de violence, Ennahda et l'opposition s'accusent mutuellement d'œuvrer en faveur des forces «contre-révolutionnaires». Et à en croire un récent sondage de l'institut 3C Etudes, aucun camp n'y gagne : 54% des Tunisiens ont une opinion défavorable de leur gouvernement et l'impopularité de l'opposition atteint 58%.