Les éléments de la brigade économique et financière ont passé au peigne fin les documents comptables et financiers liés à l'obtention des marchés de réalisation des centrales électriques de Hadjret Ennous à Tipasa et de Skikda ainsi qu'à la construction du complexe gazier de Rhourde Nous, au sud du pays. Le juge de la 9e chambre du pôle pénal spécialisé du tribunal de Sidi M'hamed, près la cour d'Alger, en charge de l'affaire Sonatrach II, a délivré, la semaine écoulée, une commission rogatoire à la police judiciaire près la sûreté de wilaya d'Alger, pour enquêter sur les marchés obtenus par SNC-Lavalin en Algérie, durant le mandat de l'ancien vice-président Riyad Benaïssa, arrêté et détenu en Suisse pour corruption. Selon des sources judiciaires, des éléments de la Brigade économique et financière (BEF), accompagnés d'un commissaire, d'un expert-comptable, se sont présentés lundi dernier vers 14h au siège de l'entreprise canadienne à Ben Aknoun (Alger) avec un mandat du juge d'instruction chargé de l'affaire Sonatrach II. Leurs questions étaient axées uniquement sur la personne de Riyad Benaïssa, l'ancien vice-président et les marchés liés au domaine de l'énergie obtenus durant son mandat, c'est-à-dire de 2005 à 2012. «Ils ont été reçus par les directeurs de la comptabilité, des finances et des ressources humaines, ainsi que par le directeur général. Les policiers ont demandé tous les documents comptables et financiers liés aux contrats obtenus dans le domaine de l'énergie durant la période où Riyad Benaïssa occupait le poste de vice-président. Il s'agit des marchés de réalisation des centrales électriques à Skikda, à Hadjret Ennous (Tipasa) et du contrat de construction d'installations de traitement de gaz naturel à Rhourde Nous, à Adrar. Les policiers ont posé une série de questions sur ces marchés et obtenu tous les documents y afférents, que leur expert-comptable a décortiqués. Ce sont les aspects financiers et comptables qui ont le plus retenu l'attention des enquêteurs», déclarent nos sources, qui ajoutent que la mission de la BEF a pris fin vers 22h. Pour nos interlocuteurs, «il ne s'agit pas de perquisition mais plutôt d'une commission rogatoire» délivrée par le juge d'instruction de la 9e chambre. «Les officiers étaient tenus par les questions du magistrat instructeur qui ciblaient uniquement le mandat de Riyad Benaïssa. Ils ont consulté de nombreux documents et notifié toutes les réponses apportées par les cadres dirigeants, notamment les directeurs des finances et de la comptabilité de l'entreprise. Ils sont repartis vers 22h», révèlent nos interlocuteurs. Du côté des responsables de SNC-Lavalin Algérie, aucune information n'a filtré sur cette visite policière. Néanmoins, des sources proches de l'entreprise n'ont exprimé aucune inquiétude quant aux conséquences d'une telle opération policière. «Il y avait une discussion très sereine et franche. Nous leur avons donné toutes les informations et tous les dossiers qui les intéressaient. Ils étaient à l'aise et ont travaillé jusqu'à 22h. Ils ont passé au peigne fin tous les bilans financiers et comptables des périodes allant de 2005 à 2012. Les directives des dirigeants du groupe, au Canada, ont été d'aider les autorités judiciaires algériennes dans leur enquête sur tout soupçon de corruption ou de détournement impliquant les cadres de l'entreprise. Le juge a déjà entendu longuement le directeur général du bureau d'Alger sur le marché relatif à la réalisation de la centrale électrique de Hadjret Ennous, à Tipasa, alors qu'un dossier sur ce contrat a été fourni par la direction québécoise», notent nos sources. Ainsi, les déboires du géant canadien ne semblent pas connaître de fin depuis que l'ancien vice-président, Riyad Benaïssa, proche de l'ex-ministre de l'Energie Chakib Khelil et de Farid Bedjaoui, a été inculpé et incarcéré par la justice helvétique pour son implication présumée dans des affaires de corruption. Dans un communiqué rendu public à travers les médias algériens, le président du groupe, Robert G. Card, avait exprimé sa «disponibilité à collaborer avec la justice dans les enquêtes ouvertes en Algérie et ailleurs». Il s'est déclaré «résolu à faire en sorte que les personnes impliquées dans des actes illicites soient traduites en justice et répondent de leurs actes», tout en se donnant le droit «d'intenter des poursuites contre les personnes en cause, y compris en vue de recouvrer des fonds». L'enquête judiciaire sur SNC-Lavalin a été ouverte, faut-il le rappeler, dans le cadre du dossier dit Sonatrach II, après les révélations sur les conditions d'obtention de marchés dans le domaine de l'énergie durant le mandat de Riyad Benaïssa, c'est-à-dire de 2004 à 2012. Cet ancien vice-président du groupe canadien, de nationalité tunisienne, aurait utilisé Farid Bedjaoui, un Franco-Algérien qui connaît assez bien Chakib Khelil, pour être l'associé de son fils, mais aussi son conseiller. Grâce à cette relation, Bedjaoui sera utilisé durant près de 10 ans par les dirigeants de SNC-Lavalin dans la «mise en relation d'affaires» afin d'obtenir de nombreux marchés en contrepartie d'une somme de plus de 9 milliards de dollars. La contrepartie consistait en des commissions versées sur des comptes domiciliés soit dans les pays du Golfe, soit en Suisse, appartenant à part Riyad Benaïssa, à Farid Bedjaoui et probablement à Chakib Khelil, puisqu'il pesait de tout son poids pour faire bénéficier le groupe canadien des marchés négociés auparavant par Farid Bedjaoui. Mais c'est l'arrestation de Benaïssa en Suisse, pour ses liens avec des placements de fonds de la famille El Gueddafi (l'ancien président libyen déchu et tué en 2011) qui va dévoiler le pot aux roses. Les juges suisses enquêtent à ce jour pour remonter la traçabilité de centaines de millions de dollars de pots-de-vin versés à des hauts responsables, notamment algériens. Au Canada, une autre enquête a été ouverte et de nombreux cadres du groupe ont été inculpés pour corruption.