En évacuant toute référence à la charia dans son texte fondamental en cours d'adoption, la Tunisie est en train de sauver ce qui reste du «printemps arabe». Par la mobilisation de ses élites et de la société civile, ce pays donne la preuve que les islamistes ne peuvent pas imposer leur loi même en accédant au pouvoir à l'issue du jeu électoral, ou électoraliste, dont des pays comme le nôtre ont eu à vivre l'amère et la sanglante expérience. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé. Le chef du groupe parlementaire d'Ennahdha, le parti islamiste de Ghannouchi qui contrôle 40% de l'Assemblée constituante, annonçait, il y a deux ans, qu'«il faudrait une référence à la charia dans la Constitution». Les amendements émanant du camp islamiste prônant l'instauration de la religion comme «source principale de la législation» ont tous été rejetés ces derniers jours par la majorité de l'Assemblée. Celle-ci a même introduit une disposition constitutionnelle prohibant les «accusations d'apostasie et l'incitation à la violence». Cet amendement a été présenté et adopté dimanche dernier après qu'un député islamiste ait qualifié un autre parlementaire d'«ennemi de l'islam», une accusation qui a ouvert la voie à des menaces de mort, qui est le réflexe le mieux partagé dans la sphère intégriste, politique ou djihadiste. Ce garde-fou constitutionnel, sans pareil dans les pays du bassin méditerranéen et dans le monde arabe, s'ajoute au principe de la liberté de conscience et de croyance, consacré également dans certaines Constitutions mais sans grand succès dans la pratique. Mise en place après la révolution qui chassa, il y a trois ans, le régime de Ben Ali et lançait le «printemps arabe», la Constituante tunisienne continue l'examen des dispositions de la nouvelle Loi fondamentale de ce pays, avant son adoption aux deux tiers de l'Assemblée, un rendez-vous décisif pour les parlementaires qui portent le projet moderniste majoritaire au sein de la société. En consacrant la parité hommes-femmes dans les assemblées, la Constituante s'inscrit clairement en avance par rapport aux pays voisins, la femme algérienne, à titre d'exemple, n'ayant droit qu'au tiers des sièges dans les instances représentatives. Le chaos ou la guerre qui se sont répandus dans les pays balayés il y a trois ans par le souffle des révolutions avaient longtemps fait croire que le «printemps arabe» était fomenté dans des officines dans un but de démembrement et de déstructuration des sociétés, préalable à une nouvelle ère de domination postcoloniale à visées économiques et stratégiques. Le «modèle tunisien», qui avait fait ses preuves par le passé, avant que le régime ayant déposé et succédé à Bourguiba ne tourne à la prédation et à la chape de plomb policière, est en train de se régénérer. C'est un exemple incontestable pour des sociétés où la vigilance citoyenne est prise en défaut par des mouvances obscurantistes condamnées par l'histoire.