Alors que le Président reste silencieux, son entourage s'active à faire un passage en force pour le voir postuler à un quatrième mandat. Les collusions d'intérêt au sein du clan présidentiel sont-elles en train de prendre en otages Bouteflika lui-même et le destin du pays ? Passage en force. Le clan s'acharne à imposer un quatrième mandat. Dans sa guerre pour garder le pouvoir, la garde prétorienne du président Bouteflika mobilise toute l'armada politico-financière, au risque de provoquer un séisme destructeur pour le pays. Le clan, mené par le quatuor Saïd Bouteflika, Gaïd Salah, Amar Saadani et Amar Ghoul, engage un combat de mort pour reconduire à la tête de l'Etat un homme gravement malade. Abdelaziz Bouteflika, âgé de 77 ans, qui cumule trois mandats présidentiels au bilan rachitique, n'exerce plus sa fonction de Président depuis neuf mois, conséquence d'un accident cardiovasculaire (AVC) qui l'a contraint à une longue convalescence. Depuis le 27 avril 2013, le locataire d'El Mouradia ne s'est pas adressé aux Algériens pour les rassurer sur l'état de santé du pays ni pour dévoiler ses intentions quant à son avenir politique. Son silence intrigant a plongé le pays dans une dangereuse angoisse. Très affaibli par la maladie, le Président n'a plus les capacités physiques pour agir et dissiper l'épais brouillard qui voile le ciel de la «République». Le pays navigue à vue. Depuis son effacement du devant de la scène, le soin est laissé à sa garde rapprochée d'exécuter des plans obscurs. Imposer vaille que vaille et contre toute logique politique le quatrième mandat d'un Président sérieusement handicapé, au risque d'exposer la société à un destin périlleux. Le Président sortant est-il consentant ? Ses hommes agissent-ils sous ses ordres ? En a-t-il encore les capacités ? Ou bien est-il pris en otage par son clan, mû par des intérêts économiques et financiers colossaux, accaparés à l'ombre d'une corruption généralisée qui s'est accrue dangereusement sous le règne du «grand frère». La maladie du Président a réduit sensiblement ses chances de rempiler et a plongé du coup courtisans et partisans dans la panique. Pris de court et pressés par le temps, ils s'emploient mordicus et contre tout bon sens à maintenir un statu quo mortel pour le pays. Situation inédite et dangereuse La convalescence du chef de l'Etat qui s'éternise permet sans doute aux principaux acteurs du clan présidentiel une liberté d'action et de régenter à leur guise la vie politique du pays. Une situation inédite qui fait dire à beaucoup de commentateurs qu'il y a usurpation de la fonction présidentielle. Il est à se demander qui gère les affaires de la République. Les trois mandats présidentiels ont permis l'émergence d'une nouvelle caste d'affairistes liée aux milieux politiques et économiques. Et c'est elle qui, aujourd'hui, semble fixer, loin de la légalité institutionnelle, un «cap» risqué pour le pays. La sauvegarde de ses agios illicitement acquis passe fatalement par le maintien au pouvoir de l'actuel Président. Son départ ferait perdre l'immunité au clan et à toute la faune d'affairistes qui s'est constituée durant les longues années Bouteflika. Il faut dire que parmi les hommes cités par la justice dans les gros scandales de corruption, nombre sont du cercle présidentiel. D'où leur affolement et surtout leur acharnement. La violente charge lâchée par l'entourage immédiat du Président contre le patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le général de corps d'armée Mohamed Médiène dit Toufik, est révélatrice d'un grand malaise au sommet du pouvoir et qui pourrait déteindre sur la société. Souvent, les conflits au sommet se règlent dans la violence. Signe d'absence d'un consensus large entre les différents pôles du pouvoir autour d'un quatrième mandat, ouvrant ainsi les hostilités. Le patron des «services» aurait opposé son veto quelques semaines après que Bouteflika eut quitté l'hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce. Contrairement au chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah qui, lui, aurait été favorable à l'idée d'un mandat présidentiel supplémentaire. De retour au pays, Bouteflika l'a promu vice-ministre de la Défense, tout en gardant son poste de chef d'état-major. Alors que le patron du DRS est vertement attaqué par le secrétaire général de l'ex-parti unique. Car la première attaque de Amar Saadani contre Mohamed Médiène remonte à début novembre. Un pernicieux procédé visant à diviser l'armée. La dernière sortie de Amar Saadani s'inscrit dans la continuité de l'exécution de ce plan aux fins de déstabiliser le DRS et d'affaiblir du coup le général Toufik. Une aventure hautement risquée et qui va sans doute saper la cohésion de l'armée, sérieusement mise à rude épreuve. A seulement quelques semaines de l'élection présidentielle, la tension qui s'est installée au cœur du pouvoir fait peser sur le pays de graves menaces.