Point fort du 4e Festival international du film documentaire de Bangkok-Saleya : The Missing Picture du cinéaste cambodgien Rithy Panh. Bangkok (Thaïlande) De notre envoyé spécial Bangkok à l'aube, sur les berges du fleuve Chao Phraya, quelques instants de fraîcheur avant que cette journée de mars, claire et lumineuse, ne vire vers un soleil brûlant, une chaleur lourde et très humide. En route vers le siège de la Thaï Film Foundation, qui abrite le Festival annuel du film documentaire, j'ouvre The Bangkok Post. Le mythe de la Thaïlande, pays calme et souriant, bouddhiste et non violent, aussitôt s'évanouit. Le quotidien rapporte que la veille, des milliers de manifestants anti-gouvernement ont semé la panique devant les sièges des ministères, cadenassé les grilles des bureaux de la jeune Premier ministre, Yingluck Shinawatra, pour l'empêcher de s'y rendre et formé des barrages humains aux carrefours pour bloquer la circulation (Shut Down Bangkok). Les journées houleuses de Bangkok durent depuis quatre mois, sans le moindre espoir que cela cesse. En 2010 déjà, la crise avait atteint un point culminant. Le ministre thaï du Tourisme continue à chanter les louanges, en termes pittoresques, du bilan de son secteur, mais selon Hong Kong, Taïwan et Sydney déconseillent les voyages en Thaïlande, qui, en temps normal, reçoit 24 millions de visiteurs chaque année. Tous ces événements politiques qui n'affectent que certains quartiers d'une immense métropole de 15 millions d'habitants n'empêchent pas la Cité des anges d'être comme toujours trépidante dans la sphère artistique, le lieu d'une immense effervescence culturelle. Le festival du film documentaire bat ainsi les records d'affluence. L'un des événements du programme, c'est la projection du film cambodgien The Missing picture de Rithy Panh, une histoire du Cambodge qui a aussi des liens avec la Thaïlande où se trouvait le camp de réfugiés fuyant la barbarie des Khmers rouges. Cinéaste rigoureux, utilisant l'histoire de son pays comme sujet d'inspiration, Rithy Panh est devenu une sorte de conscience pour les Cambodgiens, hantés par la prise du pouvoir des Khmers rouges qui a duré cinq ans, de 1975 à 1979. Comme lui, beaucoup de ses compatriotes n'ont toujours pas compris ce qui a poussé leur pays à connaître tant d'horreurs. Il en a fait le sujet de son dernier film, comme ceux des précédents, Les gens de la rizière, La terre des âmes errantes... Rithy Panh, fils d'instituteur, est né à Phnom Penh en 1964. C'est un rescapé des camps de travail où les Khmers rouges enfermaient hommes, femmes et enfants. Dans ces camps, le cinéaste a perdu ses parents et une partie de sa famille. Seule sa sœur aînée a réussi à s'enfuir avec lui vers la Thaïlande. Acceuilli en France, Rithy Panh a réussi en 1980 à s'inscrire à l'IDHEC, l'Institut des hautes études cinématographiques de Paris. De nombreux documentaires ont suivi et au moins une fiction : Le barrage contre le Pacifique, d'après le roman de Marguerite Duras. The Missing picture (L'image manquante) déjà remarqué au dernier Festival de Cannes a été nominé aux Oscars dans la catégorie des meilleurs films étrangers. C'est la mémoire douloureuse du Cambodge, la tragédie qui a coûté la vie à deux millions de personnes, mortes de faim, d'épuisement ou dans les exécutions sommaires. Couronnement de son travail de recherche sur l'histoire récente du Cambodge, le film de Rithy Panh prouve que le cinéma est aussi capable de confronter le peuple cambodgien à sa mémoire, à son passé tragique. Le réalisateur dit avoir cherché en vain l'image vraie du génocide. Mais les Khmers rouges n'ont pris que des images servant leur propagande et cachant leurs crimes. Le festival de Bangkok est aussi un endroit où on peut voir beaucoup de productions d'Asie du Sud-Est. Les projections se passaient aussi au Film Archives, la Cinémathèque de Bangkok.