- Dans quel état d'esprit se trouvent les chômeurs à la veille de l'élection présidentielle ? Certains sont résignés, d'autres tout à fait opposés au 4e mandat de Bouteflika et pour la CNDDC, c'est un non-événement. Pour nous, le changement politique en Algérie ne pourra pas se faire sans une société civile organisée et impliquée. La société civile, le mouvement des chômeurs, les syndicats, la Ligue des droits de l'homme sont les acteurs principaux de tout changement politique, or ils ne sont pas encore conscients de leur rôle. Il est impossible d'arriver à un changement avec les mêmes partis qui ont mangé dans la main du pouvoir. Ces gens qui nous ont combattus, dénigrés, calomniés nous demandent de nous positionner, les uns pour Bouteflika, alors qu'il n'a rien apporté aux chômeurs depuis trois mandats, les opposants voulaient nous utiliser comme arme de propagande contre le 4e mandat, le processus électoral pour rallier leur club et rentrer dans les rangs, alors que nous savons pertinemment que les tractations se font sous le comptoir pour mieux se partager le gâteau.
- Comment avez-vous réagi aux différentes offres ?
Nous avons été sollicités par tous les candidats tout au long des derniers mois. Les contacts se sont ensuite multipliés à l'approche des élections où il nous a carrément été demandé d'annoncer notre position, mais nous n'avons donné nos voix à personne. Pour nous, cette élection est une mascarade, une pièce théâtrale où le scénario de 2004 sera réédité au bénéfice de Bouteflika. Même l'administration voulait nous amadouer en nous délivrant une autorisation de tenir un meeting commémorant le 1er anniversaire de la marche du 14 mars qui a ébranlé l'Algérie à la salle Sedrata. Pour la première fois de l'histoire, l'administration nous délivre spontanément sa bénédiction. Comment l'expliquer autrement ?
- Vous pensez donc que les jeux sont faits ?
Nous savons que le dernier round se jouera encore une fois entre Benflis et Bouteflika dans un scénario mimant celui de 2004. Et pour nous, les deux sont les revers d'une même médaille. L'émissaire de Benflis a parlé de notre ancrage populaire pour monnayer un arrangement. On nous a promis, entre autres, une implication de la CNDDC dans le dispatching des offres d'emplois, une mise à contribution dans l'élaboration des futures politiques de l'emploi. Mais nous savons que ce sont des lobbies occultes qui prennent les décisions. Les deux candidats potentiels à l'élection nous ont demandé un travail dans les entrailles de la société, au sein des jeunes que les politiques savent en colère et sans concession. Nous ne leur offrirons jamais ce privilège.
- Quel est l'intérêt de cette position qui ne tranche pour aucun candidat ?
Nous avons confiance en l'avenir. Ce que nous avons gagné de tout ce tintamarre, c'est une reconnaissance de notre mouvement en tant que représentant unique des chômeurs du Sud. L'administration, les politiques et même le dernier rapport de l'APN nous considèrent comme les seuls représentants légitimes des chômeurs, ils reconnaissent implicitement que les associations créées par l'administration pour négocier en notre lieu et place n'ont aucune représentativité. Nos décideurs ont la mémoire courte, ils veulent rallier les bases des chômeurs à leurs candidats et oublient que nous étions accusés de traîtrise et d'agents de l'étranger, alors que nous étions un petit groupuscule séparatiste insignifiant. Toutes les tentatives d'infiltration et d'enbobinage n'ont servi qu'à nous conforter dans notre véritable position.
- Vous vous êtes pourtant manifestés contre Sellal, Ghoul et Benyounes...
Sellal, oui, nous devions lui rendre la monnaie de sa pièce et c'est une autre réussite à notre actif. Nous avons détourné son attention de son discours indigne de Ouargla et il nous a répondu. Il a reconnu que les sociétés étrangères n'ont pas appliqué ses mesures, il a avoué que la bureaucratie de son administration a la peau dure et il a dit : «Aounouna ya chabab.» Il a marchandé notre soutien au 4e mandat de Bouteflika contre des postes. Il pense se faire entendre des lobbies qui disent aux chômeurs de Ouargla d'aller se faire voir ailleurs, de demander à Sellal de venir appliquer lui-même ses instructions à qui personne ne prête attention. Il lui faut encore cinq ans ? Sellal est revenu un an après avoir décrété ses fameuses mesures constater que la sous-traitance persiste, que la bureaucratie règne et que personne ne fait cas de ses instructions. Nous le lui avons dit il y a un an.
- Finalement, les élections vont-elles changer quelque chose pour les chômeurs ?
La situation du chômeur n'a pas changé d'un iota depuis l'année dernière, contrairement à ce que l'administration prétend. Les embauches se font au compte-gouttes, ceux qui ont passé des tests sont considérés comme embauchés par les statistiques officielles, mais en réalité seul 1/10e des chômeurs orientés vers des tests sont recrutés. C'est ce qui nourrit nos discussions et notre lutte au quotidien, nous voyons nos proches, amis, voisins sans travail. La protestation n'a pas cessé, elle est alimentée par les dépassements et la bureaucratie. Voilà pourquoi nous avons décidé de faire de la présidentielle un non-événement. Bouteflika sera réélu et la situation des chômeurs va empirer à mon avis, les lobbies vont reprendre leur férocité et leur inhumanité. Ils serviront leurs intérêts et ceux de leurs maîtres. Le 18 avril, le pouvoir reprendra son bâton, rouvrira sa prison et nous on reprendra notre lutte dans la rue.