Cette fois, les avis sont bien concordants. Aussi bien les politiques que les stratèges admettent de quelque manière que ce soit que les guerres en Irak et en Afghanistan n'ont pas permis d'atteindre les objectifs envisagés, encore faut-il savoir lesquels. Cette dernière question est importante pour les pays occupés, mais le fait est là. Ces guerres ne sont pas une simple formalité, ou des conflits de courte intensité. On les croyait finies avec respectivement la chute du régime des talibans en Afghanistan, et celui de Saddam Hussein en Irak. Mais les guerres se sont poursuivies avec une incroyable intensité, au point par exemple qu'un général britannique, visiblement à court d'argument, en vienne à dire que les Afghans sont faits pour la guerre. Mais l'aiment-ils ? En Irak, c'est tout autre chose puisque l'opposition armée n'est pas identifiée totalement, et la suspicion s'étend jusqu'aux plus hautes sphères du pouvoir. C'est donc l'échec de ce qu'on appelait, dès 2003, la guerre totale contre le terrorisme. Malgré les mises en garde et les franches oppositions au recours aux armes pour régler un problème fondamentalement politique avec ce que cela suppose comme règlement de la question palestinienne, c'est l'échec admis de part et d'autre de l'Atlantique, les deux piliers de la force d'intervention en Irak et en Afghanistan. Malgré les dénégations officielles, provenant en particulier de la Maison-Blanche, la « guerre globale à la terreur » est en train d'être perdue, estiment experts et analystes, ajoutant sentencieusement que le monde est moins sûr qu'il ne l'était le 10 septembre 2001 et une nouvelle attaque d'envergure contre l'Amérique ou ses alliés est inévitable. Le mois dernier, le prestigieux magazine US Foreign Policy a pris l'initiative, avec un groupe de réflexion de Washington, d'interroger sur ce sujet 116 des experts américains les plus réputés, en prenant garde d'équilibrer leur liste entre conservateurs et démocrates. Parmi eux, un ancien secrétaire d'Etat, deux anciens directeurs de la CIA et tout ce que les Etats-Unis comptent d'analystes de renom. Résultat : ils estiment à 84% que leur pays est en train de perdre la « guerre au terrorisme », à 86% que le « monde est aujourd'hui plus dangereux » et plus de 8 sur dix estiment qu'une nouvelle attaque majeure est probable au cours de la prochaine décennie. « Nous sommes en train de perdre la guerre contre la terreur parce que nous traitons les symptômes et pas les causes », commente Anne-Marie Slaughter, qui dirige à Princeton la Woodrow School of public and international affairs. « Notre croyance dans le fait que l'idéologie fondamentaliste islamiste a remplacé le communisme comme ennemi principal correspond exactement à la vision du monde d'Al Qaïda. » Pour Leslie Gelb, président du prestigieux Council on Foreign Relations, la quasi-unanimité du panel est due au fait qu'« il est clair pour presque tout le monde que Bush et son équipe ont une conception totalement irréaliste de ce qui peut être accompli par l'emploi de la force militaire ». En France, le concept même de « guerre à la terreur » est remis en cause. « C'était mal parti depuis le début : ‘'guerre à la terreur'', c'est aussi ridicule que ‘'guerre à la colère'' ! On ne fait pas la guerre à la terreur, on fait la guerre à des gens », assure Alain Chouet, ancien cadre de la DGSE (renseignements extérieurs). « Les Américains sont enkystés dans ce concept de ‘'war on terror'' depuis le 11 septembre 2001, donc ils ne posent pas les bonnes questions. Ils ne risquent pas d'avoir les bonnes réponses ! » « Vous pouvez toujours massacrer des terroristes, il y a un réservoir inépuisable », poursuit-il. « Il ne faut pas s'attaquer aux effets du terrorisme mais aux causes : l'idéologie wahhabite, l'Arabie Saoudite et les Frères musulmans. Mais çà, on ne veut pas y toucher. » « Ils ont fait de l'Irak un nouvel Afghanistan. Rajoutez à cela Guantanamo, qui est grotesque et ne sert à rien mais fournit des prétextes, Abou Ghraïb et toutes les exactions d'une armée en campagne... Ils sont tombés dans le piège classique tendu par les terroristes : vous amener à taper à côté. » Directeur de 1996 à 1999 de « l'unité ben Laden » à la CIA, Michael Scheuer est aussi catégorique : « Il est clair que nous perdons. Le seul allié indispensable d'Al Qaïda, c'est la politique étrangère américaine envers le monde islamique ! » De ce côté de l'Atlantique, c'est le même constat, faisant queTony Blair cherche à calmer l'inquiétude croissante à Londres. Quelques heures plus tôt, le commandant des forces britanniques en Afghanistan, le général Ed Butler, avait publiquement fait savoir qu'il avait demandé des équipements supplémentaires au ministère de la Défense. « Nous savions que cela serait un combat difficile », a-t-il dit. « Les Afghans ont le combat dans le sang. » Les conservateurs ont réclamé du gouvernement qu'il vienne d'urgence faire le point de la situation en Afghanistan devant les députés. Un rapport établi par la commission des Affaires étrangères du parlement britannique, a clairement souligné cette semaine que la guerre contre l'Afghanistan et l'Irak n'a guère diminué le terrorisme international mais a fait plutôt augmenter ses menaces. Le rapport, a été établi à la veille du 1er anniversaire des attentats de Londres qui avaient fait des centaines de morts et de blessés. Selon ce rapport, intitulé « La guerre contre le terrorisme », l'invasion de l'Irak a fourni une source de propagande puissante pour les « terroristes » et un terrain d'entraînement crucial pour eux. Le document appelle le gouvernement britannique à annoncer son plan de retrait d'Irak, où les conflits intercommunautaires ne cessent de rendre la situation de plus en plus tendue, devenant une « source de préoccupation » pour le Royaume. Pour éviter de commettre les mêmes erreurs du passé, le rapport invite le gouvernement britannique à engager des démarches auprès de l'administration américaine pour la convaincre qu'une action militaire contre l'Iran déclencherait des conséquences extrêmement graves à la fois au Moyen-Orient et ailleurs et ne garantirait pas que l'Iran ne se dotera pas d'armes nucléaires. Les convergences deviennent nombreuses, ce que ne saurait en aucun cas occulter sinon atténuer quelque bulletin de victoire.