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Dihya Louiz : Deux langues pour une passion
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Publié dans El Watan le 17 - 07 - 2014

Beaucoup de douceur dans le geste et dans le verbe. On la sent presque timide mais, en fait, elle a cette tranquille réserve, cette sagesse, cette pondération de ceux qui réfléchissent à deux fois avant de dire. Ne cherchez pas la flamme dans le propos, elle brille plutôt dans ses beaux yeux aux reflets de métaux précieux qu'elle pose tranquillement sur vous.
Dihya Louiz navigue entre la ville et la campagne tout comme elle navigue entre l'arabe et le berbère. Aussi à l'aise dans l'une que dans l'autre. Si elle avoue adorer les longues promenades bucoliques dans la nature de son Ighzer Amokrane natal, elle adore tout autant flâner dans les ruelles pleines de charme de la vieille ville de Béjaïa où sa famille s'est installée. «J'adore l'ancienne ville. On voit la mer de partout», dit-elle.
Entre montagne et mer, arabe et berbère, pour Dihya, il n'y a pas de choix à faire. Il faut prendre tout ce que la vie vous donne. Jeune romancière nouvellement apparue sur la scène littéraire, Dihya Louiz est emblématique d'une nouvelle génération d'écrivains qui se sont emparés sans complexe de la langue arabe pour défendre leur culture berbère. C'est en arabe qu'elle parle de sa Kabylie et de sa kabylité. Pour certains, c'est presque antinomique, ce dont, d'ailleurs, elle témoigne : «Quelquefois, il est difficile de se faire accepter car on considère que quelqu'un qui défend tamazight n'a rien avoir avec l'arabe. Elle écrit en arabe, donc elle n'est pas des nôtres, se disent certains», dit-elle. Dihya écrit également dans sa langue maternelle. Des poèmes et des nouvelles. Par ailleurs, c'est une excellente trilingue puisque elle s'exprime parfaitement bien dans la langue de Molière.
Dihya Lwiz brouille justement des codes littéraires et linguistiques rigides, établis bien avant l'indépendance. Elle ouvre surtout une brèche dans ces fameuses frontières, jusque-là hermétiques, entre francophones, arabophones et berbérophones. Dihya est une belle synthèse de ces trois courants qui continuent de se rejeter, de s'ignorer ou de se combattre. Outre son talent d'écriture, c'est ce qui fait l'originalité de son profil. Qu'elle semble lointaine, la génération des Mammeri, Feraoun et Amrouche. Dihya Lwiz, Louiza Aouzelleg de son vrai nom, est née, en octobre 1985, à Ighzer Amokrane, dans la vallée de la Soummam, d'une famille originaire d'Ighil Oumsed.
Enfance heureuse et scolarité studieuse pour la petite fille puis l'adolescente qui complète son cursus scolaire en décrochant brillamment le bac. Un bac sciences qui la destine à faire une licence en sciences commerciales et un mastère en marketing. Elle prépare, actuellement, un doctorat en gestion. Oui, mais cette scientifique convaincue a toujours été une littéraire passionnée. «J'ai commencé à lire des livres au lycée». Cette passion tardive pour les livres, elle l'explique simplement : «Je n'avais pas la chance de trouver des livres à la maison», dit-elle avec un sourire.
Comme dans beaucoup de maisons kabyles, il n'y avait aucune raison qu'il y ait des livres, ces étranges objets qui servaient quelquefois à décorer les bibliothèques. Dans beaucoup de maisons, à ce jour d'ailleurs, les rayons de ces imposantes bibliothèques qui trônent dans le salon ne s'encombrent que de vaisselle, d'argenterie et de bibelots en plastique plus ou moins ridicules. La jeune Dihya a donc dû attendre d'être au lycée pour mettre un pied dans l'univers magique des livres. «J'ai commencé par écrire de la poésie en kabyle. J'écrivais les choses que je ressentais», raconte-elle. L'écriture est venue bien avant la passion de lire.
Dihya raconte : «L'envie d'écrire m'est venue d'une amie d'école. On s'écrivait régulièrement de longues lettres». Cet échange épistolaire qui a duré plus de douze ans avant de s'interrompre brutalement a fait naître une vocation. «C'est grâce à elle que j'en suis venue aussi bien à la lecture qu'à l'écriture», avoue-elle. Elle a aujourd'hui à son actif deux romans écrits en arabe et une nouvelle en tamazight publiée dans un recueil collectif avec des écrivains algériens, marocains et libyens. Mais elle ne se considère pas pour autant comme un écrivain. «Ecrivain, c'est un métier étrange et exotique. Je préfère dire que je suis étudiante», dit-elle-même si elle participe volontiers à des salons littéraires quand on l'y invite.
Les thèmes de ses romans sont puisés directement dans cette société contemporaine éclatée, torturée, travaillée au corps par le malheur et la violence. «La souffrance humaine m'inspire. Je ne peux vraiment pas écrire quelque chose de joyeux», dit-elle en s'avouant un peu pessimiste. «Si on parle du malheur, c'est qu'il est tout le temps là», ajoute-t-elle avec un sourire comme pour s'excuser de ne pouvoir parler des roses qui éclosent et des oiseaux qui gazouillent dans les arbres. Les événements du Printemps noir de Kabylie, par exemple, lui ont inspiré son deuxième roman, Sa aqdhifou nafssi amamaka (Je me jetterais à tes pieds). Un titre inspiré de Virginia Wolf, dit-elle. Et puis, la littérature a toujours fait bon ménage avec le malheur des hommes car, en fait, et c'est bien connu : le bonheur n'a pas d'histoire. Dihya Louiz, elle, en a beaucoup à raconter.


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