Le jeune homme voue un amour pour les livres, bien qu'il soit un architecte attitré. Mohamed-Chérif Hadjar est libraire. A six heures du matin, il est le premier à faire entendre le grincement du rideau éventail de sa librairie sur le cours de La Révolution de Annaba, le nom éponyme de son commerce. Chez les Hadjar, le livre est une affaire de famille, puisque Mohamed-Chérif a hérité cette noble profession de son défunt père, Tahar - qui avait ouvert cette librairie en 1963 - avant son décès en 2003. L'héritage de l'amour du livre est depuis légué à ses enfants. Mais, le maintien de cette activité, onze ans après, n'est pas une sinécure. Il aurait pu troquer cette profession qui ne nourrit pas son homme contre une chère location de son commerce, situé face à la plus importante place de la ville, aux opérateurs de la téléphonie mobile. Mais, il a refusé d'innombrables propositions, les unes plus alléchantes que les autres. «Il faut être armé de la patience du prophète David et des fonds de Karoun (pharaon) pour pérenniser l'activité du livre en Algérie», se désole Mohamed-Chérif derrière ses lunettes solaires qui cachent partiellement un visage rouquin et jovial, de quadragénaire. Dans un long réquisitoire, autour d'un café chez Babou sur le cours de la Révolution, il énumère inlassablement les mille et une entraves auxquelles son commerce se heurte quotidiennement. «D'emblée, je n'arrive pas à comprendre pourquoi un libraire n'a pas le droit d'importer sa propre bibliothèque ? Une pratique tout à fait normale de part le monde même aux Iles Comores. Nous sommes à la merci des importateurs dans l'approvisionnement en matière de livres qui plus est, sans pouvoir prétendre au retour des invendus», explique-t-il. Membre de l'association internationale des librairies francophones (AILF), Mohamed-Chérif affirme qu'il fait des calculs d'épicier pour choisir le titre, la langue et le prix de chaque ouvrage, avant de procéder à son achat. « Je n'ai pas le droit à l'erreur dans mes achats. Chaque dix jours au moins, je procède à un petit lifting de ma vitrine pour l'achalander avec un nouveau titre d'un roman, d'un livre scientifique, sociologique ou encore d'une BD, car on manque de production nationale riche et la demande dépasse de loin l'offre qu'assurent les importateurs», estime le libraire qui se félicite, par ailleurs, d'avoir reçu Yasmina Khadra, Dilem et tant d'autres célèbres plumes nationales. Interrogé sur le profil des lecteurs algériens, Hadjar est catégorique : «Ils sont de toutes les catégories d'âge qui s'arrachent notamment les romans et les livres traitant du développement humain. Il y a même ceux qui, à défaut de moyens, viennent quotidiennement lire brièvement des ouvrages, sans omettre de plier la dernière page lue (rires). Personne ne hait le livre. On peut l'aimer et l'acheter sans le lire. Pour votre information, le lecteur représente 98% de mon chiffre d'affaire». Mais dans ce sombre constat, l'espoir fait vivre. Avec une hargne extraordinaire, Mohamed-Chérif Hadjar entretient toujours des vœux dont le dernier est de recevoir un jour dans sa librairie, la célèbre écrivaine Ahlam Mosteghenmi.