Avec la disparition de Jacqueline Natter-Guerroudj à l'âge de 96 ans, l'Algérie vient de perdre une des plus belles figures qui ont fait du combat libérateur un modèle de résistance. Originaire de Rouen (France), Jacqueline Guerroudj arrive en Algérie en 1948, elle découvre rapidement l'injustice coloniale qu'elle rencontre dans un petit village, Aïn Fezza, dans la région de Tlemcen où elle fait connaissance d'un militant communiste, Abdelkader Guerroudj qui deviendra son compagnon de route et de lutte. Sa sensibilité sociale et son aversion pour les inégalités et la misère l'ont naturellement amenée à rejoindre le Parti communiste algérien (PCA) fortement implanté dans la région à cette époque. «Je suis arrivée en Algérie à peu près en 1948-1949, je suis entrée pratiquement tout de suite au PCA. Je suis venue en Algérie par hasard, je suis communiste d'opinion, mais pas inscrite au PC et donc je n'avais pas de formation politique, et c'est pour ça que je suis venue en Algérie. Parce que si j'avais une formation politique, je ne serais pas venue, moi, originaire d'un pays colonisateur dans un pays colonisé», témoignait Jacqueline Guerroudj dans le livre Des Femmes dans la guerre d'Algérie de Djamila Amrane. Son engagement militant l'a conduite, naturellement lorsque la guerre éclate, à jouer un rôle important dans le réseau du Comité de défense des libertés jusqu'à 1956 où elle intègre le FLN. Comme beaucoup de ses camarades communistes d'origine européenne, elle fait le choix de la justice et de la liberté. Elle assumait les tâches dangereuses de transfert d'armes et de bombes. Et c'est à son camarade Fernand Yveton qu'elle remettait souvent les bombes. Janvier 1957, son mari, Abdelkader Guerroudj est arrêté. Quinze jours après, elle fut arrêtée à son tour en tant que complice de Fernand Yveton et jetée dans le sinistre pénitencier de Barberousse : le cauchemar des militants indépendantistes dont beaucoup étaient conduits à l'échafaud. De l'autre côté du mur, «à Barberousse, c'étaient les exécutions et il y avait des exécutions à l'aube chaque semaine. Nous entendions les bruits à l'aube, et nous savions qu'il y allait en avoir une… les exécutions, c'est horrible. Nous ne dormions pas, nous entendions… et puis les jours après … Enfin ce ne sont pas des choses racontables», raconte encore la prisonnière qui a vu nombre de ses camarades mourir par la potence. A l'indépendance après une guerre atroce qui a emporté de valeureux militants révolutionnaires, Jacqueline Guerroudj devient bibliothécaire à la faculté centrale d'Alger. Admirée et respectée par les étudiants de l'époque, elle est un symbole de résistance d'une Algérie naissante. Dans un hommage poignant, Djamel Khellaf évoque une combattante courageuse et une femme libre : «Après l'indépendance, alors que tant d'autres ‘‘combattants de la dernière heure'' couraient après les prébendes et les honneurs, Jacqueline retrouve modestement le milieu des études en prenant la direction de la bibliothèque de droit et des sciences économiques de l'université d'Alger, où des cohortes d'étudiants lui sont redevables de leur réussite. Jacqueline Guerroudj n'a jamais quitté l'Algérie, son pays, y compris pendant la décennie sanglante, quand les égorgeurs du FIS/GIA généralisaient la terreur à tout le peuple algérien, s'acharnant contre celles et ceux qui représentaient la liberté d'esprit et d'expression, surtout celles-ci et ceux-là qui étaient d'une autre pensée, d'une autre origine, religion. Mais Jacqueline n'en avait pas peur. Pas plus qu'elle n'avait peur des tortionnaires colonialistes.»